Les Côtes-d’Armor au bord de la pénurie d’eau

En « crise sécheresse » depuis la mi-août, les Côtes-d’Armor pourraient manquer d’eau potable dans quelques semaines. La préfecture appelle à « des efforts supplémentaires ». Par Violaine Colmet Daâge dans Reporterre.

« À moyen terme (30 à 35 jours selon les secteurs), les ressources [en eau] seront inévitablement épuisées. » Dans un communiqué intitulé « alerte majeure sur l’alimentation en eau potable » et publié le 26 septembre, la préfecture des Côtes-d’Armor a été claire : il y a urgence car « un risque sérieux de rupture de l’alimentation en eau potable se dessine pour les dernières semaines d’octobre ». La préfecture demande aux particuliers et aux professionnels « un effort supplémentaire » d’économie de l’eau. Des mesures que l’association Eaux et rivière de Bretagne juge insuffisantes. « Cette situation est du jamais vu !, dit à Reporterre Dominique Le Goux, animatrice pour l’association. Et nous gérons cette crise avec des mesures de court terme. »

En « crise sécheresse », depuis mi-août

La situation n’est pas nouvelle. Le 10 août, le préfet a placé le département en alerte « crise sécheresse », le plus haut niveau d’alerte qui entraîne le maximum de restrictions. Depuis plus d’un mois et demi donc, les particuliers et les professionnels sont invités à « faire preuve de civisme » et de « solidarité » ainsi que de restreindre leur consommation en eau. Mais la situation s’est tout de même « considérablement dégradée », note la préfecture. En raison de l’absence de pluies significatives, « les débits des cours d’eau et des nappes souterraines ont atteint les niveaux les plus bas jamais observés à cette saison et les ressources locales s’épuisent. Les pluies constatées depuis le 24 septembre, et annoncées pour les prochains jours, restent trop éparses et irrégulières pour inverser la tendance », poursuit-elle.

Comme sur le reste de la France, la sécheresse est particulièrement sévère depuis plusieurs mois. En cause : une pluviométrie anormalement basse, associée à des températures supérieures aux normales de saison qui accentuent la demande en eau. Dans une analyse dévoilée mi-septembre, Eaux et rivières de Bretagne explique qu’en mai, la pluviométrie présentait un déficit de 90 %. Si en juin, elle excédait les normales de 51 %, elle n’a pas permis de restaurer les stocks. « Les pluies d’orage d’été ne permettent pas d’alimenter les nappes car l’eau s’évapore très rapidement et est principalement utilisée par la végétation », explique Bruno Mougin, hydrogéologue pour le BRGM. En juillet, le déficit a atteint 93 %. À quoi se sont ajoutées des températures extrêmement chaudes qui ont accru les besoins en eau de la population et des élevages. En août, le déficit fut à nouveau de 30 %.

Avec l’arrivée de l’automne, tous espèrent que la situation va s’améliorer. Mais les précipitations restent difficiles à anticiper. Sans compter qu’il faut un cumul de pluie significatif pour observer un redémarrage pérenne des débits des rivières. « D’octobre à mars, les conditions [météorologiques] sont généralement plus propices pour recharger les nappes. Néanmoins, pour que cela se fasse de façon satisfaisante, il faudra que la pluviométrie soit excédentaire et très régulière », confirme Bruno Mougin. « Nous sommes en crise. La sécheresse existe encore dans nos rivières et dans nos nappes. Si le remplissage s’effectue normalement (pluviométrie conforme aux normales), nous resterons à des niveaux bas, et les risques de sécheresse des nappes resteront élevés l’été prochain. Pour revenir à une situation correcte, il nous faut une pluviométrie qui dépasse les normales de saison », insiste-t-il.

Réduire la consommation d’eau

Afin de prévenir toute « coupure » d’eau, la préfecture appelle donc à « un effort supplémentaire ». Sur les 130 000 m3 d’eau potable journaliers nécessaires pour subvenir aux besoins de la population, 65 % sont utilisés par les particuliers, 15 % par les agriculteurs et 20 % par l’industrie. Selon l’arrêté préfectoral du 10 août, les économies d’eau concernent aussi bien les particuliers que les professionnels : les irrigations des cultures sont limitées, les industriels sont priés de diminuer leur usage de l’eau de 25 %, les terrains de sport ne doivent plus être arrosés, de même que les espaces verts municipaux. Les particuliers sont également mis à contribution : interdiction d’arroser son potager, de remplir sa piscine, de laver son véhicule ou l’extérieur de sa maison, tout en ayant « une consommation quotidienne de l’eau potable la plus raisonnable possible ». Force est de constater que ces mesures n’ont pas été suffisantes.

Des mesures à l’aveugle : il faut un état des lieux

« Le gouvernement est aujourd’hui incapable de dire si ces mesures portent leurs fruits », dénonce Dominique Le Goux. Car plusieurs effets agissent de façon concomitante : avec la hausse des températures, le nombre de douches augmente, de même que le nombre de touristes. Dans ce contexte, difficile d’évaluer les effets des mesures. Pour l’association, il est nécessaire de faire un état de lieux afin « de connaître les besoins des consommateurs (particuliers, industriels, paysans), ainsi que d’identifier avec précision quels sont les plus gros consommateurs » et adapter ensuite la politique. D’autant plus que « depuis 2015, il est constaté une augmentation générale de la consommation d’eau », note-t-elle.

Dans son analyse publiée mi-septembre, elle estime que « les mesures réglementaires de restriction des usages » sont « peu efficaces ». Contrairement aux précédentes années où la baisse de la consommation d’eau potable pouvait atteindre 10 à 15 % rapidement, la mise en place des mesures de restriction d’eau ne produit plus le même effet. En outre, elle s’interroge sur le niveau de baisse réellement atteint par les industries tout en soulignant que l’assèchement des forages privés des élevages entraîne un détournement des prélèvements vers le réseau privé « renforçant la pointe estivale ».

Dans les Côtes-d’Armor, 65 % des ressources en eau potable sont utilisés par les particuliers, 15 % par les agriculteurs et 20 % par l’industrie. [Flickr-Whttps://www.flickr.com/photos/jmenj/50237814966] / CC BY 2.0 / Jeanne Manjoulet

Pour Eaux et rivières de France, la tension sur l’eau que connaît actuellement la région est aussi bien plus structurelle. « La question est de savoir si notre territoire est en capacité d’accepter toute l’activité qu’elle reçoit, explique Dominique Le Goux. Parce qu’au-delà des activités humaines, l’eau est aussi un milieu de vie pour les écosystèmes. Notre occupation du territoire est-elle en adéquation ? Peut-elle à la fois nous alimenter en eau et recevoir tous nos effluents ? » L’animatrice appelle à repenser l’aménagement du territoire : favoriser les zones humides, limiter l’artificialisation des sols de même que les zones de débit rapide, favoriser le réemploi de l’eau par les industries. Sans compter que certains points de captage sont contaminés par les pesticides et ne sont plus accessibles. Un gâchis que l’on pourrait prévenir en stoppant l’usage des pesticides.

Pour l’heure, « nous économisons l’eau sans toucher à notre confort. Les économies devront être plus drastiques. Cette situation de crise doit nous inciter à aller plus vite et plus loin vers des économies de moyen terme pour donner des moyens de résilience au territoire et pouvoir mieux préserver notre ressource en eau », conclut-elle.

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