L’irrigation intensive en question

La Rochelle accueillait le Forum européen de l’eau imaginé à l’initiative du paysan charentais-maritime et député européen écologiste Benoît Biteau. Associations, scientifiques, syndicats et politiques européens entendaient débattre de ce « bien commun », de ses usages et de sa bonne gestion. Entretien avec l’hydrologue et chercheuse Emma Haziza, l’une des intervenantes de ce rendez-vous et spécialiste des questions climatiques face au risque d’inondation. Par Fabien Paillot dans le Parisien.

En Charente-Maritime comme en Deux-Sèvres, pro et anti-bassines se déchirent sur la question du stockage de l’eau destiné à l’irrigation intensive des cultures. Que pensez-vous de cette solution ?

Emma Haziza. Les pro-bassines affirment que l’eau est extraite des fleuves et rivières pour alimenter ces réserves. C’est faux, en réalité : l’eau est essentiellement prélevée dans les nappes, en milieu souterrain, avant d’être stockée en surface, à l’air libre, et traitée avec du chlore. Vous créez ainsi de l’évaporation. Entre 20 et 40 % de l’eau est perdue. Les pro-bassines affirment capter un trop-plein d’eau en hiver mais cela ne relève d’aucune logique sur le plan hydrologique. Le premier utilisateur de l’eau reste le milieu naturel.

Les zones humides comme le Marais Poitevin sont nécessaires, elles génèrent à leur tour de nouvelles pluies, de nouvelles boucles du cycle de l’eau. Je suis favorable aux petites retenues collinaires qui récupèrent les eaux de pluie par ruissellement, mais opposée au captage dans les nappes, un modèle californien de la gestion de l’eau qui ne profite qu’à quelques-uns.

En Nouvelle-Aquitaine, la recharge des nappes pourrait chuter de 30 à 50 % d’ici à 2030 sous l’effet du réchauffement climatique. Le débit moyen des cours d’eau baisserait, lui, de 20 à 30 %. Ces chiffres, mis en avant par la région pour étayer sa « stratégie de l’eau », vous paraissent-ils fiables ?

Cette tendance se vérifie partout en France. En réalité, l’échéance se situe désormais en 2025. Les choses s’accélèrent comme le démontrent les dernières données, notamment celles étayées par le Giec, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. À force de pomper dans les nappes, celles-ci se fragilisent. Leur niveau d’équilibre baisse jusqu’à leur tarissement. Mais il faut compter près de 10 ans pour qu’une nappe se reconstitue, à condition de lui en laisser l’occasion…

Seuls 9 % des eaux de pluie atteignent les nappes. En Charente-Maritime comme dans l’ex-région Poitou-Charentes, les nappes sont actuellement rechargées. Mais il s’agit d’une situation en trompe-l’œil, liée à des conditions météorologiques particulières en France en 2021. Les quatre années précédentes, de 2017 à 2020, ont toutes établi des records historiques de sécheresse…

Un captage d’eau potable a été fermé à Clavette en janvier 2021 suite à la découverte d’une pollution 130 fois supérieure à la limite réglementaire au chlortoluron, un herbicide. L’Agglomération de La Rochelle a depuis engagé une réflexion pour élargir les périmètres de protection autour de ces captages. Le rachat des terres est l’une des pistes avancées. Est-ce une bonne solution ?

Oui, cela fonctionne très bien. Le fait de convertir les terres agricoles en les rachetant ou en les louant améliore nettement la qualité de l’eau et celle des captages. Ce système devrait être développé partout en France afin de protéger les zones les plus fragiles. Et cela nous éviterait de dépenser des sommes folles dans le traitement de l’eau potable et la dépollution…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *