Stoppons les méga-bassines pour partager et préserver l’eau

Dans le Poitou-Charentes, des coopératives agro-industrielles tentent de faire main basse sur l’eau dans le but de prolonger un mode de production destructeur du vivant et dont il est aujourd’hui urgent de s’affranchir. 93 « méga-bassines » dont plus d’une dizaine dans le Marais poitevin – deuxième plus grande zone humide en France – risquent d’être érigées dans les trois prochaines années. Ces énormes cratères plastifiés de 5 à 15 hectares sont le dernier artifice de l’agro-industrie pour concilier raréfaction accrue de la ressource en eau et maintien de l’irrigation intensive.

Près de 250 signataires de tous horizons, artistes, universitaires, politiques, responsables d’organisations, se sont engagé-e-s aux côtés des Soulèvements de la terre, de Bassines non merci et de la Confédération paysanne dans cette tribune.

Depuis quelques mois, le mouvement tissé patiemment entre habitant·es du Marais poitevin et d’ailleurs, paysan·ne·s et naturalistes pour donner un coup d’arrêt aux chantiers de méga-bassines, a pris un essor national. Samedi 6 novembre, à l’appel de Bassines Non Merci, de la LPO, de la Confédération Paysanne et des Soulèvements de la Terre, plus de 3000 personnes et 20 tracteurs se sont retrouvés à Mauzé-sur-le-Mignon, non loin d’une méga-bassine en construction interdite d’accès aux manifestant·e·s. Après avoir traversé champs, rivières et nuages de gaz lacrymogènes, les manifestant·e·s ont collectivement investi le site d’une autre méga-bassine, illégale et déjà condamnée 5 fois par la justice, construite à Cram-Chaban.

Action collective de « désarmement »

Un élément de l’installation de pompage qui alimentait cette bassine a été démonté par des paysan·ne·s. Une fois la foule montée sur le talus de la bassine, un débâchage a été effectué pour la mettre hors d’état de nuire. Cette action collective de « désarmement » était un appel à reconsidérer les manières de préserver et partager la ressource en eau. Elle témoigne de la nécessité assumée, au vu de l’urgence climatique, d’utiliser les outils de la désobéissance civile quand des projets écocidaires passent en force.

S’il a fallu en arriver là, c’était aussi pour répondre, en pleine COP 26, à un gouvernement qui, derrière ses prétentions écologiquement vertueuses, finance à 70 % ces bassines et dont le ministre de l’agriculture Julien Denormandie prétend qu’elles s’emplissent avec les « pluies diluviennes » de l’hiver. Le morceau de tuyau ramené jusqu’aux portes de son ministère quelques jours après avoir été prélevé sur le forage de la bassine, venait le mettre face à son mensonge ou à son incompétence, en matérialisant le fait que les bassines s’emplissent aussi et surtout en pompant dans les nappes phréatiques.

Nous, signataires de cette tribune, affirmons ici que ce combat nous concerne toutes et tous, partout où nous sommes.

La lutte contre les méga-bassines est un enjeu national, qui dépasse de loin le Marais poitevin. Si celles-ci s’implantent dans les Deux-Sèvres, la France en sera bientôt couverte. Or la raréfaction de l’eau se constate à divers niveaux de manière accrue. La survie des zones humides riches en biodiversité, ainsi que des cours d’eau aux bords de l’épuisement dépend de l’état de nos nappes et des surplus d’eaux hivernales. Depuis des années déjà, des naturalistes, biologistes et hydrogéologues analysent et dénoncent les conséquences délétères de l’irrigation intensive et des méga-bassines sur ces écosystèmes à l’équilibre fragile et sur les êtres qui les peuplaient encore il y a peu, à l’instar de l’outarde canepetière ou du busard cendré dans le marais. L’’alimentation en une eau douce de qualité pour les zones ostréicoles proches est menacée elle aussi.

 Un modèle néfaste

Les méga-bassines ne profitent qu’à une petite minorité d’irrigant·e·s qui vont continuer à s’agrandir pendant que leur voisin·e·s disparaîtront. Elles ne visent qu’à maintenir en sursis face au changement climatique un type de productions intrinsèquement dépendantes des intrants chimiques, qui stérilisent les sols, font disparaître la faune et la flore, polluent les milieux aquatiques et l’eau du robinet, empoisonnent les humain·e·s à commencer par les riverain·e·s et les agriculteurs eux-mêmes. Elles sont le symbole d’un modèle néfaste aux paysan·ne·s et à nos territoires, qui refuse de se réinventer et de s’attaquer aux racines du problème : l’agriculture productiviste. Nous ne pouvons en effet plus passer à côté d’une transition agricole profonde qui permette aux paysan·ne·s, pris·es au piège d’un dogme sans avenir, d’adapter leurs pratiques aux ressources disponibles et non l’inverse, tout en tirant un revenu digne de leur activité. L’irrigation, mesurée, doit être réservée pour des productions alimentaires diversifiées, relocalisées et denses en emplois. Tout l’inverse d’une irrigation essentiellement dédiée à la culture massive du maïs destiné à l’élevage hors-sol, à l’export ou à la méthanisation.


La lutte pour le partage de l’eau est une question vitale.
 L’eau est nécessaire à l’agriculture mais aussi à toute forme de vie sur terre. Elle est la sève de toutes nos existences. A ce stade de dégradation de la biodiversité, elle doit retrouver le statut de commun par excellence, que nul ne devrait pouvoir privatiser.

Les opposant.es aux bassines ont besoin de tout notre soutien. Dans les années 2000, alors que lobbies et décideurs voulaient faire entrer les OGM sur le marché sans faire de vague, nombre de paysan·ne·s et citoyen·ne·s s’y sont opposé·e·s, allant là aussi jusqu’à faire le choix de la désobéissance civile en fauchant volontairement des parcelles OGM pour alerter sur ce sujet majeur. Ce combat a fini par payer. En 2008, la culture des OGM à des fins commerciales a été purement et simplement interdite en France puis en Europe.

Intimidations

Il est temps de faire de même avec les méga-bassines et de stopper ces projets aberrants d’accaparement de l’eau avant qu’ils ne se généralisent. Nous devons élaborer une solution politique durable aux conflits d’usage sur l’eau dans l’intérêt de tou·te·s, humain·e·s et non-humain·e·s. Nous avons plus que jamais besoin de territoires vivants plutôt que de terres mortes.

C’est pourquoi, nous, porte-paroles d’organisations nationales, d’associations, ou de syndicats, personnalités politiques, scientifiques, artistes, affirmons ici notre solidarité avec les défenseur·e·s de l’eau, du vivant, et d’une agriculture paysanne qui répond aux défis sociaux, alimentaires, écologiques et climatiques. Nous nous tenons prêt.e.s face à la répression qui menace de s’abattre sur celles et ceux qui luttent sur place. Nous ne pouvons par ailleurs que dénoncer les intimidations dont ils et elles ont fait l’objet émanant de l’État ou d’organisations agricoles refusant de voir le chemin à parcourir.

Nous nous engageons toutes et tous ensemble pour exiger un arrêt immédiat des projets de méga-bassines, à commencer par celui des 16 bassines du projet Sèvre Niortaise – Mignon.

Nous sommes le vivant qui se défend. Nous sommes l’eau qui jaillit. No bassaran !

Co-auteurs : Le Guet Julien (porte parole du collectif Bassines Non Merci et batelier dans le marais Poitevin) Girod Nicolas (porte-parole de la Confédération Paysanne et éleveur dans le Jura) Nouqui Lotta (plume des Soulèvements de la Terre, paysanne sur une Zone à Défendre et révoltée du climat)

Les co-signataires

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