Les limites de la réutilisation des eaux usées

La réutilisation des eaux usées n’est pas la solution miracle comme veulent le faire croire le ministre de l’écologie ou les multinationales de l’eau. Elle connaît de nombreuses conditions et limites, comme le montre cet article de Marie-Adélaïde Scigacz pour France Télévision. .

Dans le jargon, on l’appelle la « Réut ». Cette technologie consiste à rendre les eaux souillées utilisables dès la sortie des stations d’épuration. Une économie circulaire de l’eau qui suscite l’espoir, mais qui ne résoudra pas seule le problème de la sécheresse.

La France est en manque d’eau. Après de longs mois sans précipitations, et en prévision d’un possible nouvel été de sécheresse, les autorités ont invité les Français, dès le mois de février, à être vigilants sur leur consommation d’eau. Alors pourquoi tirons-nous la chasse avec de l’eau potable ? Et pourquoi ne lave-t-on pas les rues sur tout le territoire avec des eaux usées traitées ? En France, « moins de 1% des eaux usées retraitées sont réutilisées »a relevé le ministre de la Transition écologique dimanche 26 février dans un entretien accordé au JDD.

Christophe Béchu a ainsi ouvert un débat sur le possible « retard » de la France en la matière. Franceinfo s’est penché sur le sujet en décryptant les idées reçues sur la réutilisation des eaux usées traitées – la « Réut » dans le jargon –, qui n’est qu’une solution parmi d’autres face à la sécheresse.

Non, les eaux usées traitées ne sont pas toutes gaspillées

Ce n’est pas parce que nous ne les utilisons pas que les quelque 99% des eaux usées traitées en stations d’épuration ne servent à rien. Alors que la sécheresse allonge la période d’étiage (quand le niveau d’un cours d’eau est au plus bas), voire assèche les rivières, lacs et étangs« les espèces animales et végétales souffrent de la baisse des débits, ce qui contribue à l’érosion de la biodiversité », relève Catherine Franck-Neel, directrice de projet sur la gestion des hydrosystèmes au centre d’expertise du ministère de la Transition écologique (Cerema).

Car plus le débit d’un cours d’eau baisse, plus son taux de pollution est élevé. Face à ce constat, les eaux usées traitées, rejetées en bout de parcours dans ces cours d’eau, les rivières et les sols, contribuent à « la bonne santé des écosystèmes ». C’est le principe du « soutien d’étiage », explique la spécialiste.

Ces eaux traitées s’inscrivent aussi dans le « petit cycle de l’eau » en alimentant des milieux dans lesquels nous viendrons puiser par la suite. Réutiliser ces eaux sans leur laisser l’opportunité d’accomplir cette mission serait de la « maladaptation », pointe Catherine Franck-Neel. « La Réut n’est généralement pas pertinente en zone continentale. En revanche, elle peut se faire sans regret en zones littorales, là où les stations d’épuration rejettent leurs effluents dans la mer ou l’océan, ce qui constitue une perte d’eau douce », poursuit l’autrice d’un rapport détaillé du Cerema (en PDF) sur le développement de cette technologie en France.

Dans ce document daté de 2020, l’experte pointait, logiquement, que « les départements comptant le plus de cas en fonctionnement et en projet sont situés en zone littorale (Somme, Manche, Loire-Atlantique, Charente-Maritime, Landes et Vendée, Hérault, Var, Pyrénées-Orientales). »

Non, la Réut n’est pas souhaitable partout

Réutiliser ou pas constitue une véritable problématique, y compris au bord de la mer. La réponse est « contextuelle et territoriale », selon Nassim Ait Mouheb, chercheur à l’Inrae et coordinateur de la plateforme expérimentale de Réut pour l’irrigation de Murviel-lès-Montpellier (Hérault). L’expert cite par exemple le cas de Noirmoutier, en Vendée.

Sur la presqu’île, la réutilisation des eaux usées traitées permet, depuis 1981, de cultiver une célèbre pomme de terre, sans disposer de nappe phréatique d’eau potable sous les pieds. « Beaucoup de facteurs entrent en compte pour déterminer la faisabilité de la Réut dans un territoire, que ce soit des facteurs techniques ou économiques », insiste-t-il, pointant « le ratio entre le volume d’eau disponible et le besoin identifié sur un territoire donné ».

La taille des stations d’épuration locales compte aussi. « Plus le volume d’eau traitée est important, plus cela va être intéressant. » Mais là encore, d’autres questions se posent, comme celle des usages. « Existe-t-il des terrains agricoles à proximité ? Parle-t-on d’un usage urbain ? Faut-il soutenir un cours d’eau ? Est-ce que le coût de l’éventuel traitement supplémentaire en fonction de l’usage voulu et de l’acheminement de l’eau reste intéressant ? », liste Nassim Ait Mouheb. « Tirer des canalisations sur des kilomètres, réaliser des analyses… C’est très coûteux. On n’investira pas pour arroser un hectare. Mais pour en arroser 300, c’est différent. » 

Actuellement, le plus gros projet de Réut en France, le programme Jourdain, se trouve aux Sables-d’Olonne, toujours en Vendée. Au téléphone, un responsable de Vendée Eau en liste les avantages : « Nous n’avons pas de nappes importantes et avons 94% de réserve de surface grâce à 13 barrages sur l’est du département. Or, à l’Ouest, en été, la consommation d’eau est multipliée par deux, et plus encore sur la côte, où affluent les touristes. »

A terme, le projet transportera une partie de l’eau traitée par la station d’épuration des Sables-d’Olonne vers une station d’affinage, avant de la faire remonter, par canalisations, jusqu’à la retenue du Jaunay, d’où elle pourra être captée à nouveau, direction les robinets d’une vingtaine de communes vendéennes.

Non, le recyclage ne dispense pas de faire des économies d’eau

Dans le cas des communes balnéaires où la demande varie nettement au gré des saisons, la Réut est un bel outil. Mais elle ne doit jamais être une excuse pour se dispenser d’efforts, insistent les experts interrogés par franceinfo. Spécialiste de son utilisation en agriculture, Nassim Ait Mouheb estime qu’elle doit accompagner « une réflexion sur le maintien de l’eau dans les sols et l’évolution vers des pratiques agroécologiques ». Pour le chercheur, il ne faut « pas croire que la Réut va nous permettre de continuer avec des cultures très gourmandes en eau ». Une idée qui ne coule pas de source, si l’on en croit une étude récente du Cieau, selon laquelle 67% des Français jugent nécessaire d’investir dans des technologies permettant de conserver le même confort d’usage de l’eau.

A Murviel-lès-Montpellier, les équipes de Nassim Ait Mouheb testent la Réut sur quelques hectares de vignes. « Jusqu’alors, les vignes n’avaient pas besoin d’irrigation dans la région. Dans un climat de plus en plus aride, c’est devenu une vraie question », explique le chercheur. Partout, les besoins en eau augmentent avec la chaleur et la sécheresse.

Le rapport de 2020 de Catherine Franck-Neel (évoqué plus haut) détermine que sur les 58 cas de réutilisation d’eaux usées traitées dans des stations d’épuration urbaines, l’usage le plus répandu concerne l’arrosage de cultures (34), suivi des golfs (15). C’est le cas des greens de Sainte-Maxime, dans le Var. Alors que le département connait depuis le mois de février des restrictions, la Réut n’a-t-elle pas d’autres priorités ? « Quand il y a conflit d’usage, tous les acteurs locaux doivent se mettre autour de la table pour déterminer ce qui sera privilégié en temps de crise », explique la spécialiste. En 2020, sur les 25 cas de Réut en projet, neuf étaient destinés à l’arrosage des parcours (contre deux pour l’agriculture).

Non, ce n’est pas comme boire l’eau des égouts

Alimenter nos robinets, irriguer des cultures… « A chaque utilisation de l’eau, à chaque milieu récepteur, correspond un niveau de traitement et une réglementation précise », rappelle Nassim Ait Mouheb. Depuis 2010, la loi française encadre la Réut pour l’arrosage des espaces verts et l’irrigation agricole. Et cette année, de nouveaux seuils, adoptés au niveau européen, entrent en vigueur.

Dans la foulée du Varenne de l’eau, en février 2022, la France s’est progressivement ouverte à de nouveaux usages pour la réutilisation des eaux usées traitées : le nettoyage de la voirie, la lutte contre les incendies, le nettoyage des réseaux ou encore la recharge artificielle des nappes sont autorisés par décret depuis un an. Avec, là encore, des traitements, des seuils de pathogènes, des conditions… L’eau qui arrose le plant de tomates d’un maraîcher du sud de la France n’a par exemple rien à voir avec celle qui vient laver les camions d’une coopérative de l’agroalimentaire dans les Côtes-d’Armor.

Si la technique permet d’aller jusqu’à la potabilité, « des caractéristiques indésirables dans un cas peuvent se révéler utiles dans un autre, » explique Nassim Ait Mouheb. L’azote, par exemple, n’est pas le bienvenu dans une eau rejetée dans les milieux naturels. Mais pour l’irrigation de la vigne, « une eau avec un certain taux d’azote va permettre de limiter le recours aux engrais et fertilisants », illustre-t-il. Une approche « sur-mesure » qui assure la qualité et l’innocuité de l’eau réutilisée.

En revanche, si vous êtes agacés de tirer la chasse avec de l’eau potable tous les jours, la Réut ne peut pas grand-chose pour vous, explique Julie Mendret, maîtresse de conférences à l’université de Montpellier et spécialiste du traitement des eaux usées. « On a tendance à confondre la réutilisation d’eaux usées traitées et la récupération des eaux grises (qui proviennent des douches, baignoires, lavabos…) et qui consiste à utiliser deux fois la même eau. »

Pour se servir d’une eau non potable, il faut que le bâtiment dispose d’un double réseau pour garantir que les deux types d’eau ne se rencontrent pas. « Dans les nouvelles constructions, on peut décider d’un circuit séparé, mais ce n’est pas le cas dans la majorité des habitations pour l’instant. »

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