Le lundi 1er février 2021, Météo France a dévoilé ses prévisions relatives au changement climatique et à ses effets attendus pour les décennies à venir en France métropolitaine. Si l’ampleur de ces changements dépend des efforts déployés pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre, il apparaît très clairement que le Sud de la France sera fortement touché par des vagues de chaleur plus longues et plus intenses. Si rien n’est fait pour enrayer ce dérèglement, atteindre les 50 °C en période estivale n’aura plus rien du record dans le pourtour méditerranéen…
On sait que les effets du réchauffement climatique sont déjà particulièrement sensibles dans les grandes villes. Les différences de températures provoquées par les îlots de chaleur urbains peuvent aller jusqu’à 8 °C entre une ville et les campagnes alentour. Ces dernières ne sont d’ailleurs pas épargnées par la hausse des températures du fait de telles concentrations urbaines à proximité. Les densités de construction et de population ont une influence évidente, et pourtant la démographie urbaine ne cesse de croître : elle représente aujourd’hui 58 % de la population mondiale à ce jour, une part qui devrait atteindre les 70 % en 2050 selon l’ONU. En France, elle s’élève à 80 % en 2018, et même dorénavant s’élèverait à 95 % selon le nouveau périmètre d’aire urbaine proposé par l’Insee, contre 60 % en 1960.
Dans ce contexte, des villes du monde entier adoptent des stratégies de résilience. Végétalisation des espaces urbains pour former « oasis » et « ville-forêt », optimisation énergétique des bâtiments ou encore régulation en temps réel de certaines activités selon des indices de pollution. Avec parfois des mesures peut-être plus anecdotiques, comme l’arrosage des espaces publics et le blanchiment des toits. Ces actions sont très souvent accompagnées de dispositifs de « sensibilisation » à l’adoption de comportements dits écoresponsables, du point de vue des pratiques de déplacement, de la consommation ou du recyclage.
Enquête sur le vécu climatique
Selon plusieurs enquêtes récentes, les trois quarts des Français et Françaises déclarent de plus en plus ressentir les effets du changement climatique. Très peu de recherches qualitatives ont en revanche approfondi l’expérience concrète et sensible de tels ressentis dans les milieux urbains denses. Sans parler des inégalités générées, encore peu mises en lumière, par de telles stratégies d’adaptation.
Renseigner ces ressentis a été l’un des objectifs d’une enquête que nous avons menée en juillet 2019 auprès de 130 personnes de cinq villes du sud de la France : selon les catégories de l’Insee, trois métropoles (Marseille, Montpellier et Toulouse), une grande ville (Nîmes) et une ville moyenne (Narbonne).
Nous avons choisi ces villes pour deux raisons. D’une part car elles connaissent toutes ces dernières années un regain démographique supérieur à la moyenne nationale. Pour accueillir les nouvelles populations (étudiant·e·s, CSP+, retraité.e.s), la densification des quartiers centraux s’y accélère ainsi que l’étalement urbain et l’artificialisation des terres en périphérie. D’autre part, les régions méridionales sont particulièrement exposées aux risques climatiques (inondations, sécheresses, etc.), menaçant directement les villes méditerranéennes et les populations qui les habitent.
L’échantillon retenu des enquêté·e·s est proche de la population-mère de ces villes, malgré quelques écarts liés à la période de passation : une sous-représentativité des retraité·e·s et une surreprésentation des personnes sans emploi et de certaines CSP, particulièrement les « artisans, commerçants, chefs d’entreprise ».
Les modes de vie urbains affectés
70 % des personnes interrogées déclarent ressentir des effets du changement climatique. Les altérations dans le rythme des saisons, des épisodes intensifiés de chaleurs et des écarts brutaux de températures d’un jour à l’autre constituent les phénomènes les plus couramment mentionnés. C’est le constat dressé par ce Narbonnais : « On est certain qu’il y a un changement. Quand, en avril, il fait 30 degrés et en juin, il fait 12 degrés, et après, 40 degrés… Et on manque de pluies, c’est très sec, on voit bien le changement. » (quartier Cité, 45-59 ans, commerçant).
Plus largement, les périodes de canicule sont vécues par une partie comme de véritables « épreuves », tant physiques (crises d’asthme, conjonctivites régulières, fatigue) que psychologiques (sensations d’asphyxie ou d’étouffement). Ces épisodes suscitent aussi de nombreuses inquiétudes quant aux personnes les plus fragiles : « Mon mari a eu des syncopes, il a perdu connaissance et c’est les pompiers qui l’ont relevé […] Ils l’ont gardé à l’hôpital, il avait commencé à délirer » (quartier Noailles, Marseille, femme, plus de 74 ans, retraitée).
En regard de cette situation, 56 % des enquêté·e·s affirment déjà adapter leurs modes de vie en été. Les rythmes tendent à ralentir pour s’ajuster aux besoins vitaux. Les journées de travail sont moins intenses et l’essentiel des activités se concentre en matinée ou en soirée. Le reste du temps est passé dans des intérieurs aérés ou climatisés. Les espaces confinés et de foule sont largement évités : rues touristiques des centres-villes, grands espaces de loisirs…
Et si 68 % continuent à trouver leur ville agréable à vivre durant l’été, 30 % envisageraient de la quitter face à la dégradation de leurs conditions d’habitabilité : « Clairement, j’aimerais bien vivre à la campagne. Là où il fait plus frais. Aussi pour la pollution car on respire vraiment un air qui est pas top ici » (quartier Figuerolles, Montpellier, femme, 15-29 ans, étudiante).
Ce résultat questionne dès lors très directement les politiques d’urbanisation.
Sensations d’asphyxie et de saturation
Une impression partagée de dégradation des milieux de vie émerge, liée à la densification des centres urbains et à la bétonisation, non seulement des espaces interstitiels en ville mais également des terres agricoles en périphérie. Comme cette habitante, beaucoup se désolent du rythme élevé d’urbanisation des terres et des paysages : « Oui, Montpellier change très, très vite, et surtout on construit énormément. On densifie tous les espaces libres qui existaient » (quartier Ecusson, 45-59 ans, artisane).
D’autres ont pu témoigner de la minéralisation importante de leur environnement : « On a l’impression d’être dans une cuve de chaleur. Le béton réverbère » (quartier Bagatelle, Toulouse, 30-44 ans, employée). Sont aussi évoqués des sensations d’asphyxie liées aux pollutions, exacerbées par les chaleurs estivales et l’afflux de populations. « Ici, tellement il fait chaud, vous risquez de tomber par terre. C’est un canyon. L’air ne circule pas », raconte un habitant de Nîmes (30-44 ans, sans activité professionnelle).
Or, si les efforts d’écologisation des villes sont parfois évoqués, le sentiment dominant reste que les politiques locales ont bien souvent des priorités contraires à la préservation des milieux de vie et à la soutenabilité des conditions de vie. En continuant d’urbaniser, les pouvoirs publics territoriaux sont par exemple accusés de privilégier les logiques d’attractivité de nouvelles populations et de touristes, au détriment des besoins d’habitant·e·s plus modestes.
Cela s’incarne non seulement dans la critique des grands projets emblématiques (comme Euroméditerranée à Marseille, Val Tolosa en banlieue toulousaine, Carré Sud à Nîmes…) mais également dans celle de plusieurs rénovations de quartier que les habitant·e·s estiment être des facteurs de gentrification de quartiers centraux métropolitains (réhabilitation de La Plaine à Marseille par exemple).
Sentiments d’inquiétude et d’injustice écologique
Plus des 2/3 des sondé·e·s affirment ressentir les conséquences du changement climatique. Ce constat génère chez beaucoup doute, crainte et colère, comme le partage cet étudiant marseillais : « Ça me touche énormément, ça me met en colère. Quand tu te dis que tu peux rien y faire et qu’on est presque dans une impasse, ça me rend triste » (quartiers Nord, 15-29 ans).
Des sentiments qui s’expliquent aussi par la croissance d’inégalités environnementales. La concentration d’espaces verts dans les quartiers aisés, par exemple, ou la vétusté énergétique des parcs immobiliers pour les populations les plus fragiles économiquement : « Nous sommes dans des quartiers très anciens et dégradés, avec des habitants qui rencontrent en plus d’énormes difficultés sociales et de santé », relate une jeune employée de Narbonne (quartier Saint-Jean Saint-Pierre, 15-29 ans). Ce sentiment d’injustice, qui concerne surtout les populations les plus vulnérables (personnes âgées) ou démunies (classes populaires et migrants climatiques), est décrit par 88 % des personnes interrogées.
L’avenir suscite alors inquiétude et anxiété. 83 % reconnaissent avoir déjà réfléchi à l’avenir de la planète et de l’humanité, en projetant sur l’avenir une intensification des phénomènes d’aujourd’hui : dérèglement continu du climat et grandes catastrophes naturelles, avancée des déserts en France et migrations des populations, accroissement des inégalités et conflits autour des ressources, effondrement généralisé du vivant : « Tout sera décuplé au niveau pollution, et des catastrophes écologiques et environnementales. On n’agit pas assez vite, on va droit dans le mur » (quartier La Cabucelle, Marseille, femme, 30-44 ans, employée).
Les expériences du changement climatique sont donc très prégnantes dans les milieux les plus densément urbanisés. Face aux défaillances imputées aux politiques, les personnes rencontrées en appellent à des engagements écologiques, collectifs mais aussi individuels, pour encourager a minima une autolimitation des besoins et une déconsommation des pratiques. En bref, retrouver un certain sens de la mesure et de la limite écologique dans les manières d’habiter et de vivre.
Guillaume Faburel est co-auteur de cet article.
Fabian Lévêque, Doctorant en géographie et études urbaines, Université Lumière Lyon 2 ; Karl Berthelot, Doctorant en sociologie et études urbaines, École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et Mathilde Girault, Docteure en études urbaines, Collegium de Lyon – RFIEA
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.