Cela n’est pas dans nos habitudes de pratiquer la politique de la chaise vide, mais les circonstances ne nous laissent pas le choix. Notre Fédération a été invitée, à la dernière minute et sans précision sur l’organisation, à la réunion de lancement du “Varenne agricole de l’eau et du changement climatique”, qui se déroulera au Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation le vendredi 28 mai 2021 après-midi. France Nature Environnement a pris la décision de ne pas participer à ce comité, qui n’est pas un lieu de décision légitime en matière d’adaptation agricole sur les questions d’eau et de changement climatique.
Ni le moment, ni le lieu pour ces questions
Ce comité est monté de toutes pièces, en dehors de tout cadre de concertation déjà existant sur les questions d’eau et d’adaptation au changement climatique. Il dépossède le Ministère de la Transition Ecologique de sa pleine compétence de pilotage pour ces enjeux transversaux. Cela traduit les difficultés du gouvernement de mener une action cohérente en articulant ces sujets, à la fois primordiaux et délicats, avec sa propre politique agricole et alimentaire.
“Nous sommes interdépendants, particulièrement sur le sujet de la préservation et du partage de la ressource en eau, qui est le bien commun par excellence. Cette question a déjà été arbitré dans une concertation nationale multi-acteurs des Assises de l’Eau, et doit être traduite par des SDAGE [Schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux] plus ambitieux, ainsi que par un accompagnement des acteurs vers une évolution des pratiques” selon Florence Denier-Pasquier, Vice-Présidente de FNE.
Ce n’est pas le lieu : Rue de Varenne ? une compétence propre du ministère de l’écologie n’a pas à être traitée en plein cœur du ministère de l’agriculture. A Paris ? Pour être légitimes, les décisions doivent se prendre à l’échelle des territoires, aux dires des décideurs politiques eux-mêmes, en présence de tous les acteurs concernés. C’est sur le terrain que les débats doivent avoir lieu, et c’est sur le terrain que nous serons.
Ce n’est pas le moment : après les Assises de l’Eau en 2018-2019, après les Projets de Territoires pour la Gestion de l’Eau (PTGE), et alors qu’actuellement les SDAGE sont en consultation auprès des institutions et du grand public, cette réunion est à contre-temps, et à contre-courant de accords concertés, partagés et légitimes. C’est sur ces projets issus de processus démocratiques et incluant tous les usagers de l’eau que nous concentrerons nos forces.
Cette réunion va à l’encontre de la démocratie de l’eau, qui s’exerce au Comité National de l’Eau, dans les Comités de bassins et dans les Commissions Locales de l’Eau. Ces instances intègrent des représentants de tous les usages de l’eau, dont des représentants de l’agriculture, car c’est ensemble qu’il faut discuter des questions de gestion quantitative de l’eau.
Et c’est le rôle de ces instances démocratiques de modérer les velléités de certains acteurs qui veulent s’approprier ce bien commun, au risque d’impacter le reste de la société. Ainsi, par respect de cette démocratie de l’eau, et par respect de la gestion du ministère de l’écologie qui gère cette question depuis plus de 30 ans, France Nature Environnement ne se rendra pas à ce comité.
C’est à la PAC de traiter ces sujets, et le Varenne ne doit pas lui servir de cache-misère
Les Assises de l’Eau ont élaboré des propositions préparant le terrain pour une réforme ambitieuse de la Politique Agricole Commune,
La PAC devrait être l’instrument principal de l’adaptation au changement climatique de tous les agriculteurs. Anticipation des épisodes de gel et des coups de chaleurs, diversification des cultures et des variétés, préservation de l’humidité des sols et de leurs rôles : sur ces nombreux aspects, c’est le financement du changement qui doit être une priorité.
Nous avons besoin d’une PAC qui permette la transition agroécologique, valorise les avancées environnementales, et crée de l’emploi paysan. Or, les arbitrages PAC rendus le 21 mai dernier ont été particulièrement défavorables.
C’est pourquoi nous contestons ce Varenne qui ne sert que de cache misère à une Politique Agricole Commune déséquilibrée et en deçà des attentes et des nécessités des agriculteurs, dans leur pluralité, et de la société toute entière. Il ne sera pas possible de produire demain sans respecter l’eau, les sols, l’air, le climat, et la biodiversité.
Souveraineté alimentaire et irrigation : la priorité doit être l’eau potable
Focaliser la question de l’adaptation à la sécheresse et au changement climatique sur l’irrigation est non seulement dangereux pour l’eau, mais aussi réducteur. Lors des premières annonces, les commanditaires de ce “Varenne” ont prétendu
Et nous ne pouvons pas parler de souveraineté alimentaire sans parler de l’eau potable, gravement menacée par la moindre disponibilité de l’eau lié au changement climatique. Presque chaque été, de nombreuses communes, petits villages et grandes
Nous faisons aujourd’hui face à des défis énormes concernant la disponibilité de la ressource, qui nécessitent une approche de gestion de l’eau concertée avec tous les acteurs. C’est pourquoi nous demandons de rendre la gestion de l’eau aux organismes qui en ont la compétence, de se pencher activement sur la réalité des problématiques actuelles du monde agricole, et de proposer des solutions durables, réalistes et assurant le bon fonctionnement des milieux aquatiques.
Le respect des Assises de l’Eau au cœur de notre vigilance
France Nature Environnement s’est toujours fortement engagée dans les démarches de concertations liées à l’eau et aux milieux aquatiques, à la même table que les représentants de la profession agricole[1]. Ces concertations, sous le pilotage du Ministère de la Transition Écologique, ont permis et continuent de permettre une approche collective, systémique et décloisonnée des usages.
Les Assises de l’eau qui se sont tenues en 2018 et 2019 ont permis notamment de dégager trois engagements, partagés par tous :
- l’objectif de réduction des prélèvements d’eau de 10 % en 5 ans et de 25 % en 15 ans[2] ;
- le recensement des stockages d’eau et la mise en place une réallocation des volumes stockés non utilisés ;
- l’apport d’un conseil adapté aux agriculteurs en faveur de la sobriété des usages en eau et la réussite des projets de territoire pour la gestion de l’eau.
Ces engagements sont le fruit d’une réflexion commune et doivent être au cœur des discussions de ce comité. Nous y veillerons.
[1] Mission Bisch, Assises de l’Eau, Instruction PTGE, réforme du Comité d’Anticipation et de Suivi Hydrologique, réforme réglementaire en cours d’achèvement sur la gestion quantitative pour la gestion de crise et l’amélioration de la gestion structurelle, Mission interministérielle MTE/MAAF sur 15 PTGE, audition nationale FNE le 6 avril et invitation faite à notre mouvement de contribuer positivement lors de leur déplacement sur les territoires, etc.
[2] A cet égard, les participants pourront se référer à cette étude de 2018, commanditée par le MAAF : “Économiser l’eau en changeant les pratiques agricoles : retours d’expériences en Europe – Analyse n° 124” : https://agriculture.gouv.fr/