Après des mois de mobilisation d’élus, d’associations et d’habitants, un protocole d’accord autorisant la création de réserves de substitution a été signé mardi 18 décembre entre l’État, les porteurs de projets et les opposants. S’il diminue le nombre de bassines et conditionne l’accès à l’eau à des changements de pratiques agricoles, ses opposants dénoncent un texte flou. Reportage de Clément Barraud dans Reporterre.
- Niort (Deux-Sèvres)
« Police partout, palisses nulle part ! » Munis d’arbustes et de branchages pour reconstituer une haie, certains attachés aux grilles de la préfecture de Niort, une centaine de militants du collectif Bassines non merci ont investi les abords du bâtiment toute la matinée. L’objectif : empêcher la signature d’un protocole d’accord sur les projets de réserves de substitution d’eau sur le bassin de la Sèvre niortaise et du Mignon. Pendant plus d’une heure, ils ont tenté de bloquer les différentes entrées de la préfecture, avant que des échauffourées éclatent avec les forces de l’ordre. Finalement, la réunion s’est bien tenue.
Au point mort ces derniers mois, le dossier des « bassines » a été réactivé par la préfecture des Deux-Sèvres, qui a lancé une concertation à partir d’octobre en réunissant les porteurs de projets et des représentants d’opposants, débouchant sur un protocole d’accord le 19 novembre.
- Devant la préfecture des Deux-Sèvres, à Niort.
Le projet porté par la Coopérative de l’eau des Deux-Sèvres (qui regroupe aujourd’hui plus de 220 agriculteurs du bassin de la Sèvre niortaise et du Mignon), prévoyait au départ la construction de 19 retenues d’eau pour stocker l’eau prélevée en hiver dans les nappes phréatiques et les rivières afin d’irriguer les cultures en été. Il en contient désormais 16, et le volume prélevé l’hiver et stocké serait désormais de 6,8 millions de m3 d’eau, contre 8,6 millions dans le projet initial. Au total, en ajoutant les prélèvements au printemps et en été, le volume maximal destiné à l’irrigation serait de 12,7 millions de m3 d’eau, contre un volume maximum de référence estimé à 24 millions de m3 prélevés sur un an dans le projet initial.
Le projet, d’un coût total de 40 millions d’euros, doit être financé à 70 % par de l’argent public, via l’agence de l’eau Loire-Bretagne à hauteur de 28 millions d’euros, et la région Nouvelle-Aquitaine pour environ 15 millions d’euros. Lundi soir, au cours d’une séance plénière, la région Nouvelle-Aquitaine a voté son soutien au protocole d’accord, ouvrant la voie au financement des bassines en Deux-Sèvres. Les 30 % restants seront à la charge de la Coopérative de l’eau des Deux-Sèvres.
Des avancées, mais un texte qui divise
Tous les protagonistes soulignent des avancées par rapport au projet initial. Même si les objectifs ne sont pas précis, le texte mentionne des principes à respecter par les agriculteurs, comme la création de haies, la réduction des pesticides, ou le maintien des étiages en été (le débit minimal des cours d’eau), la diversification des cultures, la valorisation des prairies naturelles…
- Devant la préfecture des Deux-Sèvres, à Niort, mardi 18 décembre.
Pourtant, le projet divise fortement les opposants historiques. Si certaines organisations ont signé le protocole, en particulier l’association Deux-Sèvres Nature Environnement, ou la Coordination de défense du marais poitevin, d’autres refusent comme la Confédération paysanne ou le Groupe ornithologique des Deux-Sèvres. Au total, le texte rassemble 13 signataires, sur une vingtaine de partenaires (communes, associations, organisations agricoles) ayant participé à la concertation de cet automne initiée par la préfecture.
Le collectif Bassines non merci dénonce quant à lui son exclusion de la concertation. Il s’agit d’un déni démocratique selon Julien Le Guet, membre actif du collectif : « On a participé à quelques réunions de travail au début, avant d’apprendre par la préfète qu’on n’était plus les bienvenus. Elle nous accuse d’avoir fait pression sur des propriétaires de parcelles sur lesquelles doivent être construites les bassines. On leur a simplement envoyé un courrier pour leur expliquer notre point de vue, ce n’est pas de la pression. »
Le protocole d’accord est notamment soutenu par la députée Génération écologie des Deux-Sèvres Delphine Batho, présente hier à la préfecture de Niort. Opposante de la première heure aux côtés de Bassines non merci, elle défend aujourd’hui cet accord, une « première étape encourageante ». Elle estime, dit-elle à Reporterre, que le protocole a le mérite de « conditionner l’accès à l’eau à l’évolution des pratiques agricoles. Ce sont des obligations, si on n’accepte pas de s’engager vers de l’agroécologie, on n’a plus d’eau. Si on ne tient pas ses engagements, on a une diminution des volumes autorisés ». Parmi les points importants selon elle, la diminution de l’usage des pesticides, même si aucun objectif chiffré n’est pour l’heure annoncé, hormis le fait de tendre vers une référence régionale. « Avec ce protocole, tous les irrigants doivent suivre une formation aux alternatives à l’usage des produits phytopharmaceutiques », assure-t-elle.
Cette prise de position de Delphine Batho est perçue comme une « trahison » par les membres du collectif Bassines non merci. « Elle était un des moteurs du mouvement mais elle se coupe de sa base aujourd’hui, son soutien au protocole aujourd’hui est purement électoral, en vue des élections européennes », jugent Cédric Rodon et Julien Le Guet, du collectif.
Changer de modèle agricole
Si les bénéficiaires de ces bassines annoncent s’orienter vers des cultures à « forte valeur ajoutée » comme des légumes de plein champ, pour sortir du tout maïs gourmand en eau, cela ne va pas sans risque selon Cédric Rodon : « Les coopératives agricoles sont adossées à des groupes agroalimentaires, comme Bonduelle, qui exigent des cultures avec un cahier des charges strictement établi par l’entreprise, des rendements à fournir et donc l’utilisation de pesticides et de fongicides pour tenir ces engagements. » Pour le collectif Bassines non merci, le compte n’y est toujours pas puisque « le protocole ne concerne toujours que 12 à 15 % des exploitations du territoire, ce sont des exploitations irrigantes qui ne recouvrent que 6 à 20 % de la surface agricole du territoire, mais qui auront des volumes de plus de 100.000 m3 ».
- Une « bassine » en Charente-Maritime.
Les travaux de construction des bassines ne sont pas encore prévus (plusieurs instances doivent être mises en place, comme un conseil scientifique et des comités de suivi), mais le protocole d’accord dépasse déjà le seul cadre du marais poitevin. Il pourrait en effet servir de jurisprudence pour d’autres projets similaires dans l’ex-région Poitou-Charentes (entre 100 et 150 au total), actuellement en pause. Sur le terrain, les membres de Bassines non merci sont vigilants et n’hésitent pas à évoquer l’idée d’une ZAD pour s’opposer au lancement de futurs travaux.