Quel est l’état de la nappe phréatique en Alsace ? Quels polluants y sont présents ? Et en quelle quantité ? Toutes ces questions sont posées par l’APRONA à travers une campagne qui a lieu tous les six ans. En 2020, l’Aprona met l’accent sur les nouveaux polluants présents dans la nappe. Par Florence Grandon, France 3 Grand Est
L’Association pour la protection de la nappe phréatique de la plaine d’Alsace (Aprona) a publié son troisième rapport dans le cadre du projet ERMES (cadre transfrontalier, financé par Interreg V), et le 28 janvier 2020 elle l’a présenté aux professionnels du secteur. Ce troisième volet fait le point sur les micro-polluants de synthèse. Plus de 200 micro-polluants ont été analysés, dont 150 substances émergentes, c’est-à-dire nouvelles.
L’objectif c’est d’alerter sur ces nouveaux polluants, certains dangereux à fortes doses. L’agence régionale de santé (ARS) demande aux producteurs d’eau de respecter des valeurs de seuils définis, par exemple la concentration de nitrates ne doit pas dépasser 50 milligrammes par litre (mg/L), et chaque polluant a son seuil. La particularité des micro-polluants c’est que tous n’ont pas de seuils (parce qu’émergents) et que leurs seuils sont moindres parce que plus toxiques. Ils sont dosés en microgrammes par litre (μg/L).
Pour que les élus, les industriels, les responsables de la qualité de l’eau puissent d’ores et déjà avoir les outils en main.
Cette étude a duré plusieurs années. Valider les résultats d’analyses prend du temps, il faut ensuite en faire l’interprétation et la valorisation, sans oublier les aspects transfrontaliers. Il y a également beaucoup d’interlocuteurs, puisque l’étude s’est faite en parallèle sur plusieurs régions dans les trois pays que sont l’Allemagne, la France et la Suisse.
Voici les substances les plus préoccupantes, retrouvées dans les eaux souterraines d’Alsace, rangées dans l’ordre suivant : des plus présentes dans l’eau aux moins présentes. Elles sont toutes d’origine anthropique, c’est-à-dire fabriquées par les humains et leurs industries. Mais là aussi, le classement n’est pas facile à établir. La toxicité sanitaire (dangerosité pour l’homme) et la toxicité environnementale sont à distinguer. Tout comme les molécules dont on ne sait encore pas grand-chose.
1- les métabolites de pesticides
Ce sont des molécules issues de la dégradation de pesticides : en se dégradant, les pesticides se transforment en diverses molécules pas toujours connues ou pour lesquelles il n’existe aucun seuil actuellement. L’Aprona est en train de les étudier pour en faire un suivi systématique. Certains métabolites sont dangereux, d’autres non. Certains sont encore trop méconnus et n’ont pas de seuils de toxicité définis.
2- les pesticides règlementaires
Ces pesticides sont reconnus et bénéficient d’un suivi sanitaire.
3- les composés perfluorés (PFC)
Ces substances ne sont pas neuves, mais elles ont mis du temps à être analysées dans l’eau. Elles restent dans des quantités faibles en Alsace. Mais elles sont très toxiques et persistantes : les molécules seraient presque impossibles à détruire. Ce qui explique leur présence sur toute la planète, y compris dans les endroits les plus reculés et les plus sauvages. Et nous en avons tous dans le corps, avant même notre naissance, sachant qu’elles font également partie des perturbateurs endocriniens. On retrouve les PFC dans 80% des prélèvements faits par l’Aprona.
Il existe de nombreux PFC, le plus connu est le PFOA, qui entre dans la composition du PTFE (polytétrafluoroéthylène), commercialisé sous la marque Teflon. Ses propriétés hydrophobes (repousse l’eau) et lipophobes (repousse la graisse) en font un anti-adhérent de choix pour les surfaces de cuisson, mais également un anti-déperlant pour les vêtements d’extérieurs et les vestes de sport (le gore-Tex utilise aussi des PFC).
Quelles substances vont être suivies et avec quels seuils ? L’Aprona attend ces informations de la Direction générale de la santé pour 2020.
Sur la carte en lien ci-dessous, les points roses foncés indiquent des points de prélèvement où une ou plusieurs substances dépassent le seuil Leitwerk, il y a donc à ces endroits, un risque sanitaire possible (pour l’homme). Le seuil Leitwerk est un seuil établi par l’Allemagne (et pour ces substances, comme il n’existe pas encore de seuil français, on prend en compte celui établi Outre-Rhin). Près de grandes villes ou dans la vallée de Thann : l’origine de la pollution est peut-être industrielle ? Pour l’instant, aucune certitude.
Carte APRONA, mesures de micro-polluants encore peu connus mais très toxiques : les composés perfluorés (PF… by Florence Grandon on Scribd
Pour sensibiliser les consommateurs aux risques des PFC dans les vêtements d’extérieurs, Greenpeace a fait cette video, « Les grands espaces contaminés » en ajoutant sur les images des petits points rouges, présents dans les plus beaux paysages de notre planète et les plus sauvages. La pollution aux PFX est planétaires et la robustesse de ces molécules est sans commune mesure : les PFC sont partout, et pour longtemps.
4- les adjuvants alimentaires
On en retrouve beaucoup dans les eaux domestiques (caféine, acésulfame…) et dans les agglomérations. Ils passent dans les rivières, puis se retrouvent dans la nappe phréatique parce qu’ils ne sont pas traités par les stations d’épurations. Ces molécules sont moins graves pour la toxicité humaine, mais l’impact sur la faune et la flore aquatique n’est pas encore connu. Que peuvent avoir comme conséquences les édulcorants et la caféine dans la nature ? Ces questions sont sans réponse pour l’instant parce qu’il n’y a pas de valeur seuil définie pour ces éléments.
5- les autres polluants émergents
- Les benzotriazoles : ce sont des anti-corrosifs utilisés dans les lessives ou les produits de dégivrage des avions.
- Les substances pharmaceutiques : il s’agit de résidus de médicaments.
- Les hydrocarbures et BTEX : ce sont des composés organiques volatiles, présents dans les carburants par exemple.
- Les perchlorates : ils sont utilisés pour fabriquer des explosifs, des bombes et ils sont présents dans certains engrais du début du 20e siècle.
Et l’effet cocktail ?
Cet état des lieux a pour objectif de mieux connaître les substances toxiques émergentes dans les eaux souterraines du Rhin supérieur. La grande inconnue reste ce fameux « effet cocktail » de plusieurs substances qui, prisent isolément et en faible quantité, peuvent paraître inoffensives, mais qui ensemble pourraient avoir d’autres répercutions catastrophiques sur l’environnement, la faune, la flore et l’espèce humaine.
Le projet Ermes 2016-2020 en quelques chiffres
Le projet Ermes est un projet transfrontalier d’analyse des eaux souterraines qui a lieu tous les 6 ans. Celui-ci a débuté en 2016.
Août-octobre 2016 : prélèvements d’eau effectués dans toute l’Alsace, une partie de la Rhénanie-Palatinat, du Bade-Wurtemberg et de la Hesse en Allemagne et les cantons de Bâle et Bâle-Campagne en Suisse.
Novembre 2017 : publication du 1er rapport sur les nitrates et pesticides
Novembre 2018 : publication du 2e rapport sur la qualité de l’eau dans l’espace transfrontalier
Janvier 2020 : publication du 3e rapport sur les micropolluants
La prochaine campagne d’analyses est prévue en 2022, les prélèvements se feront en été, en période de basses eaux, pour que la concentration des polluants soie la plus forte possible.