Mi-septembre, le niveau de la rivière Indre a baissé de 60 centimètres en 48 heures — un phénomène rarissime dû à l’extrême sécheresse. 2.500 km de rivières sont quasiment à sec. Et même si la pluie est de retour, la situation reste grave : « C’est toute la biologie de la rivière qui est en train de s’effondrer. » Un article de Danièle Boone dans Reporterre.
- Châteauroux (Indre), reportage
L’eau est de retour sous le pont de Déols à Châteauroux, les prairies reverdissent et la nature semble revivre. Mais, ça et là, les taches grises des arbres défunts témoignent du lourd tribu payé par la végétation à la sécheresse exceptionnelle qui a sévit sur le département de l’Indre et plus largement sur tout le centre de la France. Les éleveurs et les pisciculteurs ont été particulièrement touchés. La Brenne, zone humide exceptionnelle, est en train de s’assécher. « L’eau est revenue mais pas le débit, explique Christian Toussaint, responsable eau et milieu aquatique à l’association Indre Nature. Le retour de la pluie est une bénédiction dans le sens où cela évite aux nappes de descendre plus bas. »
L’inquiétude reste grande dans le département qui a cumulé cet été, un record de chaleur et une sécheresse intense. « En 17 mois, on aurait du avoir 1.000 millimètres d’eau, on en a eu 600 », précise-t-il.
Mi-septembre, il a observé une chute du niveau de l’Indre de 60 centimètres en 48 heures : « Une nappe alluviale qui flanche, moi, je n’ai jamais vu ça ! »
L’été dernier, la rivière Doubs avait subitement disparue, comme « aspirée »
L’été dernier le département du Doubs avait connu une énorme sécheresse et la rivière éponyme avait subitement disparue. Les hydrogéologues ont découvert que la rivière s’était infiltrée dans la nappe comme si elle avait été aspirée par celle-ci. Elle réapparaissait en aval. Dans l’Indre, on ne connaît pas encore exactement le processus qui a amené à l’effondrement de la nappe alluviale sur environ 80 kilomètres.
La nappe alluviale, c’est le plus souvent de l’eau mélangée à du sable. En échange transversal permanent avec la rivière, elle possède également un écoulement longitudinal. Nappes de coteaux et sources peuvent alimenter soit directement la rivière, soit la nappe alluviale en fonction du millefeuille géologique. En l’absence de pluie, l’eau s’écoule tout doucement et l’assèchement s’effectue sur plusieurs mois. « On avait une sécheresse des sols maximale, explique Christian Toussaint.
L’infiltration qui avait tenu depuis sept-huit mois s’est tarie. N’ayant plus d’apport, la pression a chuté et la nappe s’est effondrée. La rivière a continué de couler au même débit mais a baissé d’un cran sur toutes les zones où la nappe alluviale soutenait le niveau. »
Les stations de jaugeage permettent de connaître le débit sur une année. « On a un suivi piézométrique qui donne le niveau des nappes mais on n’a pas d’indication sur le niveau restant ou la capacité de la nappe », constate Christian Toussaint. La méconnaissance sous le sol est abyssale ainsi les décisions telle que les dérogations d’irrigation sont prises sans pouvoir en mesurer l’impact réel. « On manque d’une connaissance fine de ces écoulements, des interconnexions et des capacités des nappes, confirme Florence Habets, hydroclimatologue, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et professeure attachée à l’École Normale Supérieure (ENS). Il faudrait faire un bilan pour pouvoir quantifier les échanges entre les nappes et les rivières. »
Au total, 2.500 km de rivières sont à sec ou en rupture de débit
L’Indre, le Fouzon, l’Anglin, la Bouzane… Les rivières du département sont au plus mal. Le Montet a même complètement disparu. Au total, 2.500 km de rivières sont à sec ou en rupture de débit. Les écrevisses mortes misérablement crissent sous les pieds lorsqu’on marche dans le lit des rivières transformé en chemin creux. « 2.500 km de piste cyclable, ironise Christian Toussaint qui ne cache pas son désespoir. C’est toute la biologie de la rivière qui est en train de s’effondrer. La truite fario est quasi disparue. C’était prévu pour 2050 dans le scénario de la remontée des espèces vers le Nord avec le réchauffement climatique mais cela arrive avec 30 ans d’avance ! »
De fait, tout va plus vite que les prévisions les plus pessimistes. La hausse de la température rendant l’air plus sec tend à amplifier le phénomène d’évapotranspiration des sols et des végétaux, ce qui empêche une part importante de l’eau de s’infiltrer jusque dans les aquifères — de vastes réservoirs souterrains. De plus, selon Florence Habets, il semble que la part de l’eau évaporée de la mer et précipitée ensuite sur les terres a fortement diminué, alors qu’elle compensait en partie ce phénomène. Les scientifiques ne savent pas encore expliquer pourquoi. Peut-être parce que la terre se réchauffe plus vite que les océans ? Toujours est-il que près de 70 % des pluies s’évaporent. Certes, elles finissent par revenir à la terre, mais ailleurs.
Alors quel scénario maintenant ? « Cela va être très simple, s’il ne pleut pas 500 millimètres sur décembre, janvier, février et mars, eh bien, l’année prochaine, on passe pas, répond Christian Toussaint avec lucidité. Si on a le même hiver que l’année dernière, c’est la catastrophe : la moitié du département sera en rupture d’eau potable. » Florence Habets confirme la gravité de la situation. « Certes, la pluie est là mais comme les sols sont complètement secs, il va déjà falloir 100 à 200 millimètres d’eau pour qu’ils soient bien réhydratés et que l’eau, enfin, commence à recharger les nappes. Et compte tenu des prévisions météo, qui n’annoncent pas le froid qui ralentirait l’évapotranspiration, on va rester à un niveau en dessous de la normale au moins jusqu’à fin décembre. »
Il faut stocker l’eau dans les nappes, mais pas dans des « bassines » artificielles
Face à la sécheresse, les agriculteurs réclament des retenues collinaires ou « bassines » et ils ont été entendu par les autorités qui, encore une fois, ont cédé à la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), une catastrophe annoncée de plus.
Florence Habets détaille :
Ce qu’il faut, c’est stocker l’eau mais dans les nappes notamment en ralentissant les écoulements par des obstacles, les arbres, les haies par exemple. Il faut conserver les mares, éviter le drainage, réduire la perte par évaporation en installant des paillages, choisir des plantes qui consomment peu d’eau et favoriser des végétations assez profondes pour éviter l’érosion des sols. Un sol riche en matière organique est capable de stocker l’eau et offre une meilleure transmission de celle-ci vers la nappe. De plus, l’eau dans le sol est fraîche, 8° C dans la nappe alluviale d’une rivière. Elle contribue à retenir l’emballement des températures. »
On comprend dès lors que les « bassines » ne sont pas la bonne solution mais, encore une fois, nos gouvernants ignorent les avertissements de la nature et foncent droit dans le mur.