Arnaud Guvenatam, de l’association Eau Bien Commun Bourgogne-Franche-Comté, demande plus de transparence sur les contrats qui lient Suez et la Ville de Dijon. Et prône une gestion de l’eau en régie publique plutôt qu’en délégation de service public. Interview dans Infos Dijon.
Pouvez vous expliquer votre démarche de base ?
Obtenir des documents publics sur les contrats de l’eau, sur les avenants, les rapports du délégataire, etc. Pas les documents que la Métropole présente chaque année au conseil, mais les rapports annuels du délégataire (Suez), notamment le CARE, Compte annuel de Résultat d’Exploitation, car on y trouve le détail sur les droits de continuité de service public, les bénéfices, le financement des services centraux, etc. (des dépenses qui ne sont pas présentes dans le cas d’une régie publique).
Quel est, pour vous, l’intérêt de cette démarche ?
Avoir les originaux, les documents qui sont signés entre le délégataire et la métropole. Ce sont des documents publics, et plus complets. Je veux avoir une vision d’ensemble sur ce qui a été passé comme contrat et ce qui se fait. En tant que citoyen, c’est mon droit. D’ailleurs, la Cada, la Commission d’Accès aux Documents Administratifs, confirme que ma demande est légitime.
Quelle demande avez vous précisément faite ?
J’ai envoyé un courrier par recommandé avec accusé de réception le 16 août 2017 au maire de Dijon afin d’obtenir les rapports annuels du délégataire, les contrats et avenants depuis l’année 2012, l’intégralité des contrats signés avec le délégataire depuis 1991, les bons de commande et les ordres de service, les rapports d’analyse des offres, et la pyramide de renouvellement des compteurs d’eau. Je suis resté sans réponse et j’ai donc choisi de saisir la Cada. Je l’ai fait le 26 décembre 2017.
Que vous a répondu la Cada ?
J’ai reçu un courrier de la Cada le 25 juillet 2018 me notifiant que l’avis du 19 avril 2018 était «favorable à la communication des documents mentionnés aux points 1 à 7», c’est à dire l’intégralité des documents que j’avais demandé.
Le 6 septembre, j’ai donc adressé une nouvelle demande à François Rebsamen en m’appuyant sur l’avis de la Cada, qui était en copie de mon courrier. A ce jour, je n’ai pas de réponse.
Existe-t-il d’autre moyen d’obtenir ces documents ?
Non, pas à ma connaissance.
Pourquoi vous investissez-vous sur ce sujet précis ?
Je suis un militant de l’Eau Bien Commun. Je pense que l’eau doit être gérée par les citoyens, par les élus et par les salariés d’une régie publique, et non pas par une entreprise privée. D’ailleurs, en 1990, les élus du groupe PS au conseil municipal, dont le président était François Rebsamen, déclaraient que «aujourd’hui, plus que jamais, l’eau doit rester service public. Le propre de la gestion privée n’est-il pas de ne gérer que dans l’intérêt privé et non dans l’intérêt général. Ce qui est bon pour la Lyonnaise des Eaux n’est pas forcément bon pour Dijon».
Donc vous êtes d’accord avec le François Rebsamen de 1990 ?
Je serai toujours d’accord avec la gauche qui défend l’intérêt général et qui ne se fourvoie pas dans le libéralisme économique et les privatisations comme le fait François Rebsamen maire de Dijon et ministre de François Hollande, fourvoyeur du socialisme.
Qu’est-ce qui ne va pas dans ce contrat d’après vous ?
Ce qui me gène, c’est l’opacité du contrat et la difficulté à avoir des documents. Y aurait-il des choses à cacher ? D’autant que le 28 février 2015, Alain Millot, alors maire de Dijon a déclaré dans un journal local «la gouvernance du contrat par le Grand Dijon a été renforcée : des audits annuels sont menés afin de vérifier les comptes et les réalisations du délégataire et leur adéquation avec les objectifs de la collectivité». Des mécanismes auraient donc été mis en place. Peut-on en voir les rapports et conclusions ?
François Rebsamen annonce encore une baisse du prix de l’eau. Il semble corriger les effets du contrat signé par son prédécesseur, Robert Poujade. N’est-ce pas suffisant ?
Si Suez consent à baisser le prix, c’est qu’il lui reste suffisamment de bénéfices à faire sur l’eau à Dijon. Cela renforce ma position qui est de dire que l’eau ne doit pas être une marchandise sur laquelle on fait des bénéfices, et qu’elle doit être gérée de manière publique et démocratique.
Quel mode de gestion de l’eau devrait être adopté selon vous ?
A Eau Bien Commun, nous militons pour la mise en place de régies publiques dans lesquelles les élus, les professionnels, les syndicats et les citoyens sont partie prenante de toutes les décisions qui sont prises, en termes de prix, de renouvellement de réseau, d’investissements, etc. Il y a de nombreux exemples de villes de plus de 100.000 habitants en régie comme Nantes, Le Mans, Grenoble ou Besançon, mais aussi à Metz Métropole d’ici à la fin de l’année. C’est en projet à Toulouse aussi.
Quelles suite allez-vous donner ?
Eau Bien Commun BFC fait partie d’un réseau national doté d’experts en analyse des contrats, d’anciens directeurs et directrices de régies publiques, et d’avocats spécialisés dans la saisine de tribunaux administratifs. Nous avons l’intention de faire valoir les droits des citoyens dans l’accès aux documents publics, via le Tribunal Administratif si c’est nécessaire.
Nous ne sommes pas dans une démarche conflictuelle par défaut, puisque nous avons, dans nos missions, la mise en avant d’une expertise citoyenne qui permet de faire des propositions sur d’autres modes de distribution et d’assainissement de l’eau, comme un bureau d’études, mais détaché d’intérêts privés. L’idée est de montrer aux élus qu’il n’y a pas de fatalité à faire gérer l’eau par des entreprises privées.