Quel est votre rôle au sein de la Fondation France libertés ?
Depuis 2004, je suis responsable de l’eau, un sujet majeur pour la fondation fondée en 1986 par Danielle Mitterrand.
Je travaillais depuis 1976 chez Veolia (ex-Générale des eaux puis Vivendi). Mon principal rôle était d’établir les rapports annuels sur la qualité et le prix de l’eau potable. C’est donc de l’intérieur que j’ai pu constater toutes les arnaques et la faiblesse de la critique des élus.
Vous avez pu étudier le rapport eau et assainissement 2014 de la Lyonnaise des eaux sur l’agglomération montargoise. Qu’en pensez-vous ?
Financièrement, le loup se trouve du côté des dépenses. On constate une surfacturation des frais de personnel assez impressionnante. À l’époque où j’étais secrétaire du comité d’entreprise de Vivendi, j’avais constaté ce phénomène dans les différents contrats du territoire où je me trouvais.
À Montargis, on a 56 personnes en équivalent temps-plein qui travaillent pour l’eau et l’assainissement. Soit plus de 3 millions d’euros en frais de personnel. Quand on vous impute un tel chiffre, il est normal de s’interroger.
En 2013, la Lyonnaise affiche un bénéfice net d’impôts de 373.000 €, soit 6 % du chiffre d’affaires. Par contre dans l’assainissement, ils indiquent perdre 121.000 €. Est-ce une façon de gonfler les charges, pour payer moins d’impôts et justifier qu’on ne baisse pas le prix de l’eau ? Je ne dis pas que ce sont des voleurs, je dis qu’il y a des questions à poser.
Les citoyens du Montargois dressent un constat alarmant de la situation, notamment en ce qui concerne les branchements en plomb, le rendement et les prix. Qu’en pensez-vous ?
C’est un résultat moyen, mais largement insuffisant. Le pire est au niveau le renouvellement des réseaux de canalisations. Le rythme normal est de 60 à 80 ans. On peut aller jusqu’à 100 ans. Le taux de renouvellement à Montargis (0,16 %) donne un changement tous les… 625 ans.
Je constate aussi qu’il y a 37 % de compteurs qui ont plus de 15 ans, soit la durée de vie maximale qu’on accepte. Il y en a deux qui datent de 1957 ! Si on ne les change pas, c’est là où est l’arnaque : on fait payer l’abonnement, soit l’entretien et la location des compteurs, comme si on avait remplacé normalement les installations.
Il y a tout un tas de mécanismes financiers et comptables qui ne sont pas faciles à analyser. Mais s’il existait des services qui suivent les choses depuis le début, on n’en arriverait pas là.
« Ce n’est pas du contrôle stalinien, c’est normal »
Vous préconisez donc surveiller de près les délégataires ?
Il n’y a pas de gouvernance de l’eau en cas de DSP : les élus, les associations, les professionnels ne disputent pas les décisions à prendre, c’est le délégataire qui décide de tout. Il faudrait un comité de pilotage qui contrôle l’entreprise au minimum tous les trois mois. Ainsi, on ne mettrait pas un an à s’apercevoir qu’on n’a pas amélioré le rendement du réseau.
On peut vérifier les listings des personnels affectés au contrat, leur rémunération et vérifier si le total correspond à la somme indiquée dans le rapport présenté à la collectivité. Ce n’est pas de la suspicion ou du contrôle stalinien, c’est normal. Qu’une entreprise privée fasse des bénéfices n’est pas scandaleux. Mais des bénéfices raisonnables et vérifiables. 121.000 euros perdus en 2014 à Montargis sur l’assainissement, mais qui peut le croire ?
Pourquoi êtes-vous en faveur de la gestion en régie publique ?
Sur le plan idéologique, l’eau est un bien commun, comme l’air. C’est d’intérêt général. De façon pragmatique, on voit que les prix des régies sont en général plus faibles qu’en délégation. Sur la qualité du service rendu, par exemple, une collectivité qui finance l’entretien de son réseau, a tout intérêt à faire les choses correctement. Pour une entreprise privée, les fuites ne retirent rien en terme de chiffres d’affaires, elles sont déjà comptabilisées. Le renouvellement des réseaux est payé par le contribuable.
Pour Jean-Pierre Door (le président de l’agglo), un passage en régie nécessiterait l’embauche de personnel compétent et il ne croit pas aux économies promises…
Tous les rapports de l’Assemblée nationale et de la Cour des comptes ont montré que les régies étaient entre 25 et 45 % moins chères. Concernant les personnels, il faut savoir qu’en passant d’une délégation à une régie, ce qui nécessite au minimum deux ans pour faire les choses correctement, l’ensemble des salariés sont obligatoirement repris par la collectivité. On peut avoir des arguments pour défendre la délégation, mais pas ceux-là.
Le contrat avec la Lyonnaise expire en juillet 2017 pour les 5 villes les plus importantes de l’agglomération. Quel est le travail à mettre en place pour améliorer la gestion de l’eau ?
Il faudrait faire un audit complet, technique, juridique et financier deux ans avant, pour qu’au bout de six mois, on puisse réfléchir sur le mode de gestion idéal. À Montargis, on est dans le tempo, mais il faut s’y prendre maintenant.
Les modes de gestion sont principalement la régie ou la DSP. Mais cette délégation peut prendre la forme d’une société d’économie mixte ou société publique locale, comme à Rennes. C’est un système intermédiaire. Véolia, une PME comme AGUR ou d’autres, ne sont dans ce cas que des prestataires et apportent leur professionnalisme.
La ville de Paris est en régie. Ce qui est possible pour la capitale est-il applicable partout ?
Oui. La plupart des régies récentes sont plutôt des petites communes. Depuis 15 ans, pas une de celles qui ont fait ce choix n’est revenue en arrière, c’est quand même un signe. Cependant, il paraît plus confortable de l’appliquer au-dessus d’un seuil de 10, 15 ou 20.000 habitants. Les économies sont plus simples à faire dans une communauté d’agglomération, par exemple.
Publié dans la République du Centre du 18 septembre