La Commission tente depuis une dizaine d’années de privatiser les barrages français. En 2015, elle a mis en demeure le Gouvernement d’agir. En janvier 2018, le gouvernement d’Emmanuel Macron s’engage à répondre à ses attentes. Par Gabriel Amard*.
Les barrages sont des ouvrages publics. Vu la dimension stratégique du secteur, parmi les 433 concessions (un ou plusieurs barrages), 85 % sont gérés par Électricité de France (détenue à plus de 80 % par l’État) et 20 % gérés par Engie via la Compagnie nationale du Rhône (CNR) et la (SHEM). En clair, l’État contrôle l’essentiel des barrages via EDF.
La Commission européenne est partie dans une croisade anti-barrages publics depuis dix ans, et souhaite par-dessus leur « ouverture à la concurrence ». Elle veut que les barrages soient gérés par des multinationales de l’électricité et casser le quasi-monopole public. Bref, elle veut la privatisation des barrages. Le gouvernement d’Emmanuel Macron et d’Édouard Philippe a promis qu’en 2022, à la fin des concessions de 150 barrages gérés par EDF, ceux-ci feraient l’objet de délégations de services publics prétendument transparentes. Objectif n°1 : faire que tout le monde sauf EDF remporte les contrats ! Tous les barrages doivent être privatisés d’ici 2050.
Mais pour quelle raison privatiser les barrages qui fournissent 12% de l‘énergie électrique du pays en 2016, et représentent près de 70 % de la production d’énergie renouvelable ? Pourquoi privatiser, entre autres, 10 barrages qui détiennent 20 % de la capacité hydroélectrique de la France ?
Les barrages mènent pourtant des missions de service public essentiels. Ils assurent la production d’électricité, en favorisant le lissage de la consommation et en s’adaptant aux intermittences des autres énergies renouvelables. Ils permettent de gérer la ressource en eau : par le stockage de 75 % des réserves d’eau douce, ils limitent les effets des sécheresses, des crues et préviennent des inondations (en lien avec Météo France et les collectivités).
Il apparaît évident que ces missions de service public ne seront pas rendues avec le même entrain par des opérateurs privés, dont la fonction première est de réaliser des profits. Maintiendront-ils des relations étroites avec les collectivités et Météo France ? Investiront-ils dans le stockage d’eau pour prévenir des sécheresses dangereuses pour les habitants comme le fait EDF en Occitanie, alors que le déficit de stockage est évalué à 1 milliard de m³ en 2035 pour cette région ? Feront-ils les investissements nécessaires de contrôle, de réparation des infrastructures ou chercheront-ils à les repousser au maximum encourant des risques gravissimes pour des populations ? EDF qui a provisionné 400 millions d’euros pour les réparations se trouve déjà dans une situation inconfortable : la perspective de la privatisation retarde l’engagement des investissements et la compagnie publique craint de ne conserver que les installations les moins rentables.
Privatisation des profits, socialisation des pertes ? Il semblerait que les barrages français soient la poule aux œufs d’or. On parle de 2,5 milliards d’euros annuels d’excédent brut, avec un relatif fable nombre de salariés (21 000), alors que tous les investissements sont amortis depuis longtemps, puisque l’essentiel des installations ont été construites au sortir de la Seconde guerre mondiale. Pourtant, la Cour des comptes évalue les redevances liées à l’ouverture à la concurrence à 520 millions d’euros par an. C’est peu donc au regard des bénéfices et des enjeux de service public.
La raison est peut-être ailleurs. Idéologique d’abord. La France, anciennement championne des grandes entreprises publiques, est dans le viseur de la Commission européenne et de la toute puissance direction générale à la Concurrence. C’est elle qui privatise, libéralise, dérégule absolument tout au nom de la sacro-sainte « concurrence libre et non faussée ». Après AirFrance, après France Télécom, après la SNCF, les barrages français ! Mais l’obstination de la commissaire Margrethe Vestager converge aussi avec les intérêts de multinationales : Vattenfal (suédois), Eon (allemand), Enel (italien), et … Total sont sur les starting blocks pour reprendre les délégations de service public. Total, qui n’est pas un électricien, est en pleine dynamique de diversification et se tourne de plus en plus vers les énergies renouvelables. Vous avez dit greenwashing ?
Tout porte à croire que le lobbying est intense, pour ouvrir les barrages aux multinationales. Problème : « aucune information n’est publiée sur les réunions qu se déroulent dans un contexte d’antitrust, le contrôle des marges, et les procédures d’aide d’État », nous informe la page officielle de la commissaire Margrethe Vestager. Or pour la Commission, confier la gestion d’un service à une entreprise publique est une aide d’État, une distorsion de la concurrence. Rien ne filtre donc sur les réunions de la Commission. Pour le gouvernement français, la transparence n’est pas de mise non plus. Dommage, on aurait pu savoir qui Margrethe Vestager et le gouvernement rencontraient pour élaborer leur politique de privatisation des barrages. Mais en fait, je crois qu’on a déjà tous une idée… Pas vous ?
*co-président de la Coordination eau bien commun France et dirigeant national de la France insoumise.
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