Montpellier Métropole: retour sur un renversement de situation

Par Eau secours 34, collectif de citoyens héraultais.

La Communauté d’Agglomération de Montpellier (CAM) constituée de 31 communes exerce la compétence pour l’assainissement depuis 2001 et celle pour l’eau potable depuis 2010. Plusieurs contrats de DSP (Délégation de Service Public) pour l’eau potable et l’assainissement expirant fin 2014, la CAM devait donc choisir entre continuer en gestion privée avec de nouveaux contrats de DSP ou opter pour la gestion publique en créant des régies publiques ou des sociétés publiques locales.

Le 25 juillet 2013, le conseil communautaire votait à une forte majorité la mise en œuvre d’une procédure dite « Loi Sapin ». Celle-ci présente la particularité de ne retenir que le principe de la préparation réglementaire d’une nouvelle DSP succédant à celle déjà en cours, le choix de la gestion publique ne pouvant intervenir dans ce cadre que de manière marginale. La délibération adoptée prévoyait donc de lancer, sur proposition de son président PS, Jean-Pierre Moure, et conformément à la réglementation (Code Général des Collectivités Territoriales et Loi Sapin), une consultation sous forme d’appels d’offre pour une DSP eau potable sur 13 communes, dont Montpellier, ainsi que trois DSP assainissement pour l’ensemble des communes de l’agglomération[1]. Seuls quelques conseillers votaient contre dont René Revol, maire de Grabels, et Philippe Saurel, conseiller municipal de Montpellier. Dans la foulée et comme l’impose la Loi Sapin, la CAM publiait les appels d’offres pour les quatre DSP d’une durée de 7 ans dans un journal officiel, en l’occurrence celui de l’Union Européenne.

Eau Secours 34 décidait alors, d’une part de déposer un recours contentieux auprès du tribunal administratif de Montpellier[2], et d’autre part d’interpeller les candidats aux élections municipales en leur demandant de se positionner sur le choix d’une gestion publique ou privée des services eau potable et assainissement sur le périmètre de l’agglomération. Grâce à une forte communication de Eau Secours 34 dans les médias associée à un travail d’information de la population, la question public-privé des services eau potable et assainissement est ainsi devenue progressivement le thème principal de la campagne électorale. Jean-Pierre Moure, candidat PS à la mairie de Montpellier, était donné largement vainqueur par les sondages en début de campagne. Mis en difficulté par Eau Secours 34 sur son choix de la gestion privée, Jean-Pierre Moure a progressivement perdu du terrain au profit de Philippe Saurel, dissident PS, qui s’était positionné clairement pour la gestion publique.

Finalement, Philippe Saurel était élu maire de Montpellier et devenait président de la CAM le 15 avril 2014. Le 22 avril 2014, René Revol était élu vice-président de la CAM en charge de l’eau et de l’assainissement et prenait la présidence de la commission Eau et Assainissement. Comme il s’y était engagé pendant la campagne électorale, Philippe Saurel interrompait la procédure Loi Sapin pour la DSP eau potable[3] avant l’ouverture des enveloppes (propositions des entreprises privées postulant à la DSP) au motif de l’intérêt général. Le 7 mai 2014, le nouveau conseil communautaire votait à une très large majorité la proposition par Philippe Saurel d’une régie publique pour le service eau potable des 13 communes. Il n’est pas sans intérêt de constater que la quasi-totalité des élus présents dans l’ancien et le nouveau conseil communautaire ont voté pour la DSP puis pour la régie publique à quelques mois d’intervalle.

Quelles leçons générales en tirer qui puissent servir ailleurs aux collectifs et associations luttant pour un retour en gestion publique ? Tout d’abord, il faut toujours garder à l’esprit que la législation française accorde au seul maire ou désormais président de l’EPCI à fiscalité propre[4] le plein pouvoir de décision concernant, d’une part le mode de gestion des services publics locaux de l’eau et de l’assainissement et, d’autre part l’entreprise privée retenue comme délégataire à l’issue de la procédure « Loi Sapin ». Le maire ou président de l’EPCI n’a pas de compte à rendre à la société civile et aux usagers sur ses choix qui sont faits en vertu d’un très vieux principe juridique, « l’intuitae personae »[5]. Pour que les associations et collectifs puissent néanmoins peser sur la prise de décision, il leur faut connaître l’agenda politique et avoir un minimum de maîtrise technique des différents modes de gestion ainsi que du fonctionnement d’un service public local de l’eau et de l’assainissement. Même lorsque c’est le cas, leur poids sera en général beaucoup plus faible que celui du service Eau et Assainissement de la collectivité locale ou que celui de Veolia, Suez et compagnie. Eau Secours 34 a bénéficié de la proximité des élections municipales et d’un contexte politique local très particulier. Il n’est pas dit que Philippe Saurel aurait interrompu la procédure Loi Sapin et décidé du passage en régie publique du service eau potable s’il avait eu l’investiture socialiste pour les élections municipales de Montpellier.

NOTES

[1] Cette précision est importante: toute collectivité qui a la ferme volonté de revenir en gestion publique peut parfaitement, avant la fin d’un contrat de DSP confié à une entreprise privée, faire l’économie d’un appel à la concurrence pour une nouvelle DSP. Elle peut engager directement la création d’une régie publique ou d’une société publique locale. Cela permet d’éviter le débat toujours biaisé, qui conduit dans l’écrasante majorité des cas, en raison même des impératifs et du calendrier de mise en œuvre de la procédure « Loi Sapin », à la signature d’un nouveau contrat de DSP avec une entreprise privée.

[2] Le recours contentieux déposé le 29 janvier 2014 par Eau Secours 34 et plusieurs usagers porte principalement sur le défaut d’information des conseillers communautaires avant la séance du 25 juillet 2013 et sur le caractère trompeur des informations communiquées par le rapporteur. Le 24 novembre 2015, les avocats de Montpellier Méditerranée Métropole (le 1er janvier 2015, la communauté d’agglomération s’est transformée en métropole) envoyaient un mémoire en défense réclamant 3000 euros de dommages et intérêts. Eau Secours 34 est en train de rédiger une réponse aux avocats avant que le recours soit jugé dans les semaines qui viennent.

[3] L’assainissement reste en gestion privée, ce que Eau Secours 34 n’a pas manqué de dénoncer. Deux DSP ont été attribuées à Veolia et une à Alteau.

[4] La loi NOTRe du 7 août 2015 portant Nouvelle Organisation Territoriale de la République a décidé le transfert des compétences eau et assainissement des communes aux Établissements Publics de Coopération Intercommunale (EPCI) à fiscalité propre (Communauté de Communes, Communauté d’Agglomération, Métropoles…). Optionnel le 1er janvier 2018, ce transfert est obligatoire au 1er janvier 2020. Parallèlement, les compétences eau et assainissement exercées par des milliers de syndicats intercommunaux vont également être transférées aux EPCI à l’horizon 2020, dans le cadre de l’élaboration des nouveaux Schémas Départementaux de Coopération Intercommunale, actuellement mis en œuvre dans chaque département par les Préfets, et qui devront être finalisés avent le mois de juin 2016.

[5] « L’intuitae personae » signifie que la décision est prise en fonction de la conviction personnelle sans obligation de tenir compte des critères techniques et économiques.

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