Les événements pluvieux qui ont ravagé les villes de Cannes, Antibes ou Mandelieu, dans la nuit du 3 au 4 octobre ont été impressionnants et meurtriers. On a ponctuellement battu des records avec, par exemple, 107 mm de précipitations en une heure à Cannes, les précédents records sur cette ville étant de l’ordre de 65 à 70 mm par heure. Ailleurs, des pics de précipitations ont été dépassés de plus de 50 %. C’est bien le caractère exceptionnel, explosif, de ces précipitations qui a conduit au drame. À l’heure où nous écrivons ces lignes, nous en sommes à 20 morts et 4 disparus !
Comme c’est maintenant traditionnel, certains politiques n’ont pas manqué de mettre en cause celui qui prévoyait la catastrophe (Météo-France), plutôt que d’en rechercher les vraies raisons. Ainsi, dès le dimanche matin, Éric Ciotti, député LR, président du conseil départemental des Alpes-Maritimes, s’interrogeait sur la pertinence du dispositif d’alerte ! Pascal Brovelli (adjoint au directeur de Météo-France) admet : « En l’état de nos systèmes, nous ne sommes pas en mesure d’annoncer une telle ampleur et de la localiser de manière aussi précise. […] Le phénomène a été d’une rare violence. À la vitesse où cela s’est développé, déclencher la vigilance rouge à 20 heures, au moment où nous avons pris conscience de la réelle intensité et violence du phénomène, n’aurait pas permis d’alerter les services et les populations dans des délais suffisants. »
D’une manière unanime, le dérèglement climatique lié au réchauffement de la planète n’est pas directement pointé comme cause première. Les experts s’accordent à penser que ce réchauffement ne peut qu’augmenter la fréquence des futurs « épisodes cévenols ». Philippe Drobinski, directeur au CNRS, explique dans le Monde : « Ce terme générique regroupe les épisodes de pluies brèves et intenses, et de crues rapides, qui surviennent sur tout l’arc méditerranéen, depuis l’Espagne jusqu’à l’Italie et la Croatie, particulièrement à la fin de l’été et au début de l’automne » et de rajouter : « Les lois de la physique nous disent que ce type d’événements risque de devenir plus fréquent et plus intense dans un contexte de réchauffement climatique. De manière générale, sous l’effet de la hausse de la température, l’atmosphère retient davantage de quantité de vapeur d’eau, ce qui entraîne plus de précipitations par la suite. »
Par contre, la gestion urbaine de ce territoire est systématiquement invoquée ! Déjà en janvier 2014, Hervé Kempf expliquait dans Reporterre que les inondations dans le Var étaient tout, sauf des catastrophes naturelles. Elles s’expliquaient, selon lui, par l’imperméabilisation incontrôlée des terres. « Il faut vite arrêter le gaspillage des terres et l’étalement urbain »
La population des Alpes-Maritimes a augmenté de 43 % en 30 ans (708 000 habitants en 1982 et 1 013 000 en 2011), ce qui n’a pu se faire sans une urbanisation importante. Le Monde nous apprend que la région PACA est la région côtière la plus dense de France avec plus de 700 habitants au kilomètre carré. L’essentiel de cette population (95 %) est massé le long de la côte, avec pour conséquence une pression immobilière très importante et un niveau élevé du prix au m2. Le sénateur Pierre-Yves Collombat, dans un rapport publié en 2012, expliquait déjà que cette urbanisation s’est réalisée sans économie de l’espace et « sans aucune prise en compte du risque d’inondation : des terrains inondables sont lotis, de vastes surfaces sont imperméabilisées de manière artificielle, les cours d’eau traversant les villages sont couverts, parfois a minima ». Il enfonce le clou : « Le manque de moyens des services de l’État et des services municipaux, s’agissant des petites collectivités territoriales, face à la ténacité et à l’ingéniosité des promoteurs et à la pression des propriétaires fonciers est un élément d’explication. » À noter que dans les villes comportant un plan de prévention des risques inondation, dans les zones dites inondables (zone rouge), s’il est interdit de construire de nouvelles habitations, il n’est pas interdit d’aménager, de rénover, de modifier la destination des habitations existantes.
Mais la seule densification des zones urbaines n’explique pas tout. L’étanchéification des sols est tout aussi responsable. Dans les pentes qui surplombent le littoral, où il y avait autrefois une activité agricole, des vignes, des oliveraies, on a « étalé » des habitations et donc imperméabilisé des surfaces. Pour Magali Reghezza-Zitt (Maîtresse de conférence en géographie à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm) dont les propos sont rapportés par le Monde : « L’eau ne s’infiltre plus en amont du bassin versant, et, du coup, se déverse dans les cours d’eau. Or, dans ces régions, il s’agit de petits cours d’eau, de ravins, à très faible débit en temps normal, qui permettent l’évacuation des eaux pluviales. Mais ces petits cours d’eau, dans lesquels l’eau monte très brutalement et redescend tout aussi brutalement, débordent lorsque les pluies sont vraiment très importantes. Et s’ils ont été couverts, bétonnés, équipés de buses d’évacuation artificielle, et ainsi imperméabilisés, ce phénomène de débordement est accentué. » D’une manière générale comme l’explique Cécile Duflot, ancienne ministre EELV, « il faut remettre de la nature en ville », il faut plus infiltrer l’eau dans le sol.
Les solutions ne sont pas que techniques. S’il faut certainement repenser l’aménagement urbain, il faut aussi conduire avec les populations une réflexion spécifique et développer une « culture du risque ». Cela nécessite, dans le cadre d’une démarche démocratique et partagée, d’apprendre (de réapprendre bien souvent) avec les habitants, tous ensemble, les bons gestes, les bonnes attitudes, les bons réflexes, etc.
Comme nous l’affirmons depuis toujours à la Coordination Eau Île-de-France, nous ne pouvons plus considérer l’eau (et plus généralement la nature) comme des problèmes potentiels, qu’il faudrait repousser loin de nous, mais comme des atouts. La réappropriation de notre environnement extérieur est indispensable et il faut vite abandonner l’idée que la « domestication » de la nature est chose facile. Si on l’oubliait, elle a vite fait de nous rappeler à la réalité et le tribut à payer est généralement astronomique…
René Durand, le 7 octobre 2015