Inondations: l’alternative est économique

innondation

Les solutions « vertes » pour gérer les eaux pluviales en zone urbaine sont souvent plus efficaces et moins coûteuses que l’asphalte et le béton. Par Laurent Hutinet dans Alternatives économiques N°383.

Si l’été 2018 a été marqué par plusieurs épisodes de canicule, il a aussi vu, comme les précédents, la multiplication des inondations à la suite d’orages et de fortes précipitations. Tout début juillet, une vingtaine de départements avait été placée sous vigilance orange. Selon le dernier bilan des catastrophes naturelles en France publié par la Caisse centrale de réassurance1, les inondations représentent en moyenne 56 % de cette sinistralité et un demi-milliard d’euros par an d’indemnisations.

Les impacts des inondations – particulièrement importants en zone urbaine du fait de la concentration de la population et de l’artificialisation des sols – ne sont pas le seul risque lié à la gestion de la pluie en ville : la qualité de l’eau, condition de toute vie et de toute activité, est également en jeu.

En finir avec la collecte de l’eau

Comment la pluie est-elle gérée en ville ? La solution « moderne », qui s’est répandue au fil du XXe siècle, reste encore aujourd’hui le plus souvent mise en oeuvre : l’eau pluviale est collectée à partir de revêtements imperméables (asphalte, béton…) par un réseau de canalisations et aboutit aux cours d’eau. Cette gestion pose de nombreux problèmes. Très souvent, le réseau pluvial n’est pas séparé de celui des eaux usées. C’est en particulier le cas dans les quartiers les moins récents. On parle alors de réseaux unitaires. C’est la pire des situations : en cas de fortes précipitations, l’écoulement des eaux pluviales mélangées aux eaux noires et grises dépasse la capacité des stations d’épuration et aboutit directement dans les cours d’eau. « Depuis cinquante ans, la gestion des eaux usées s’est énormément améliorée en France, explique Sarah Feuillette, responsable du service Planification, évaluation et prospective à l’Agence de l’eau Seine-Normandie. Paradoxalement, aujourd’hui, ce sont souvent les eaux pluviales qui affectent la qualité des eaux. Non seulement elles peuvent nuire au traitement des eaux usées lorsque le réseau est unitaire, mais en plus elles drainent les éléments polluants sur les voiries : résidus de pneus, fuites d’hydrocarbures, déjections canines, etc. »

Autre péril : si les pluies sont trop fortes, cours d’eau, réservoirs et canalisations débordent et les quartiers subissent des inondations. Leur probabilité augmentera, puisque le changement climatique rendra les précipitations intenses plus fréquentes. La solution « moderne » consiste alors à construire des réservoirs pour délester les réseaux pluviaux. A grands frais et sans garantie sur le bon dimensionnement de ces équipements au regard des incertitudes sur l’évolution des précipitations sur le long terme.

Multiplier les espaces végétalisés

Face à ces risques, il existe une alternative écologique et économique. Elle est très simple : laisser la pluie s’infiltrer directement dans les sols pour prévenir les inondations locales et limiter la pollution. Pour cela, il existe une palette de techniques complémentaires les unes des autres : zones humides, jardins inondables, noues végétalisées*, toitures vertes et même voirie perméable.

 Pour Sarah Feuillette, « l’idéal est de se passer totalement de réseau d’eau pluviale et de laisser les quartiers infiltrer l’eau ». C’est, poursuit-elle, l’ambition de la ville de Crépy-en-Valois, dans l’Oise, qui multiplie les espaces végétalisés. C’est ce qu’a réussi la municipalité des Mureaux (Yvelines) dans le nouveau quartier Molière, où l’eau de pluie est gérée « à la source » sur 70 hectares. A Douai, dans le Nord, environ 20 % de l’agglomération sont désormais perméables, ce qui a permis de préserver ces quartiers lors de la pluie centennale** de l’été 2005, alors que tout le reste de la ville a été inondé. Des solutions désormais soutenues par les agences de l’eau, sous forme de financement d’études et de subventions à des projets.

Ces aides se justifient d’autant plus que les solutions vertes, qui réclament relativement peu d’investissements et peu d’entretien, sont moins coûteuses que les solutions classiques. Pour le moment, les collectivités qui les développent le font le plus souvent pour des motifs non économiques et ne découvrent qu’ensuite leurs avantages budgétaires. Ces opérations s’inscrivent aujourd’hui dans le cadre de leurs politiques de végétalisation urbaine, pour des motifs d’agrément, de santé publique, de préservation de la biodiversité, de lutte contre les îlots de chaleur et d’adaptation au changement climatique… Ceci étant, les collectivités commencent également à s’y intéresser au motif que cela leur permet de réduire leurs coûts de gestion des eaux pluviales. Les économies réalisables sont importantes : « Pour 2 000 habitants, l’option verte revient selon nos estimations à environ 41 euros par m3 d’eau pluviale traitée sur trente ans, contre 580 euros en cas d’installation d’un réservoir », indique Marc Barra, écologue à l’Agence régionale de la biodiversité Ile-de-France.

Ces résultats concordent avec ceux que l’on observe à l’étranger. En 2014, aux Etats-Unis, l’Agence de protection de l’environnement a publié une étude sur la ville de Lancaster (Pennsylvanie), qui a adopté en 2011 un plan complet d’infrastructures vertes. Son déploiement devrait coûter autour de 110 millions de dollars d’ici à 2036. Mais il évitera au moins 120 millions d’investissements dans le système de gestion des eaux pluviales et usées et permettra une économie annuelle de 661 000 dollars (soit 10 dollars par habitant) sur leur traitement. L’opération sera donc rentable dès la fin du plan et plus encore par la suite.

Elle le sera d’autant plus qu’elle apportera beaucoup d’autres avantages : amélioration de la qualité de l’air et baisse des dépenses de santé, baisse des besoins de climatisation artificielle et donc des consommations d’énergie, amélioration de la recharge des nappes phréatiques sans oublier l’embellissement des lieux, les usages récréatifs et conviviaux… C’est un autre aspect décisif. Alors que les infrastructures « grises » n’ont qu’un seul emploi, « les solutions vertes offrent des bénéfices multiples, même s’il est très difficile de les monétiser », reconnaît Marc Barra. Son organisme n’en mène pas moins une étude visant à comparer les coûts des infrastructures vertes et grises et, « selon les premiers résultats disponibles, les solutions vertes sont presque toujours les moins coûteuses ».

* Noue végétaliséeFossé peu profond et végétalisé permettant de recueillir l’eau de façon provisoire et de l’infiltrer dans les sols.

** Pluie centennalePluie dont l’ampleur revient tous les cent ans en moyenne.

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *