Deux nouveaux arrêtés autorisent la société Nestlé Waters à exploiter une partie de la nappe des grès du trias inférieur (Vittel-Contrexéville), dans les Vosges. Une partie des forages visés est considérée comme illégale par des associations. Par Dorothée Laperche dans Actu environnement.
La préfecture des Vosges a publié deux arrêtés autorisant la société Nestlé Waters à exploiter une partie de la nappe des grès du trias inférieur, située notamment dans les bassins de Contrexéville et de Vittel. Une signature qui suscite le mécontentement des associations.« Pour nous, c’est une manœuvre de régularisation de forages illégaux et nous dénonçons également l’affirmation de prélèvements à niveau constant », a réagi Bernard Schmitt, membre du collectif Eau 88. Car neuf des 28 forages autorisés ont fait l’objet d’une plainte déposée en juin 2020 contre Nestlé Waters par le collectif Eau 88. L’association estime qu’ils ne disposaient pas d’autorisation de prélèvement au titre du Code de l’environnement.
L’explication se trouverait dans les multiples évolutions réglementaires. « La législation a fortement évolué tout au long des années et a donné lieu aÌ diverses formules d’autorisation, par gîte, par marque ou par forage, ce qui donne aujourd’hui un imbroglio que chacun peut interpréter aÌ sa façon et provoque des tensions entre les différents groupes », justifie le commissaire enquêteur mandaté pour suivre le dossier. L’objectif des nouveaux arrêtés serait d’attribuer aÌ chaque gîte et aÌ chaque forage une autorisation correspondant aÌ la législation actuelle.
Des autorisations de volumes bien supérieurs aux prélèvements actuels
Une position que ne partagent pas les associations du collectif Eau 88. Toutefois, leur plainte a récemment été classée sans suite par le tribunal administratif. « Le motif serait que l’infraction est insuffisamment caractérisée, regrette Jean-François Fleck, président de Vosges nature environnement. Ce que nous contestons. Nous avons donc envoyé un dossier au procureur, il y a trois semaines. »
Pour nous, c’est une manœuvre de régularisation de forages illégaux
Bernard Schmitt, collectif Eau 88
Les associations dénoncent également le maintien de l’autorisation des volumes prélevables au même niveau que précédemment, alors que l’embouteilleur prélève moins. « On remarque un différentiel important entre l’autoriseì et le réalisé, ce qui permet à NWSE [Nestlé Waters Supply Est] d’envisager l’avenir avec optimisme, reconnaît le commissaire enquêteur. On arrive ainsi au dilemme ouÌ NWSE affirme, ce qui est exact, qu’il ne demande pas une augmentation des autorisations et ouÌ les opposants expliquent qu’il y aura bien possibilité d’augmentation en comblant le différentiel entre les deux références, ce qui n’aura rien d’illégal, mais ce qui pourra créer des répercussions dont on ne connaît pas encore les conséquences précises. »
Juin 2024 : date butoir pour le transfert de forage aux collectivitésLes arrêtés abordent également le transfert du forage Suriauville IV, avec tous ses droits, à la ville de Vittel. La préfecture demande que ce transfert se fasse au plus tard le 30 juin 2024. « Les prélèvements rattachés à cet ouvrage seront retirés du volume prélevable autorisé lorsque le transfert de propriété sera effectif, rappelle la préfecture. La société Nestlé Waters Supply met à la disposition de la commune de Vittel les études et essais réalisés dont elle dispose, en vue de faciliter l’élaboration du dossier d’autorisation de prélèvements [qu’elle devra établir]. »
Ces arrêtés sont publiés alors que des tensions existent déjà dans le bassin au sujet du partage de la ressource. La partie Sud-Ouest de l’aquifère (gîte C) des grès du trias inférieur a en effet suscité de nombreux débats, du fait de sa surexploitation. Finalement, un plan d’action pour un retour à l’équilibre de la nappe a été acté, en 2019. Parmi les mesures envisagées : la substitution de certains prélèvements dans des secteurs de la nappe en déséquilibre (gîte C) vers d’autre zones qui ne semblent pas en tension (les gîtes A et B). Nestlé doit également rétrocéder à la commune de Vittel des captages dans le gîte B pour éviter que la commune continue à s’alimenter dans le secteur en déséquilibre.
Un appel à une gestion commune des trois gîtes
Or, pour les associations, la maîtrise des tensions sur la ressource passent par une gestion d’ensemble des trois gîtes qui constituent la nappe, mais également par une bonne connaissance de ces derniers. Et pour l’instant, ces connaissances restent parcellaires : la dernière synthèse hydrogéologique sur le secteur remonte aux années 1980, les échanges notamment entre le gîte B et les milieux se révélant complexes et la modélisation manquant de précision, selon le rapport du commissaire enquêteur.
« Nous regrettons qu’il n’y ait pas de véritable étude sur la capacité du gîte B, avec l’implantation de piézomètres publics. Pour l’instant, il n’y en a qu’un dans un village près de Vittel, ce qui ne suffit pas : il devrait y avoir un piézomètre pour chaque forage, estime également Bernard Schmitt, membre du collectif Eau 88. Nous allons reporter la pression sur le gîte B et il n’est pas dit que, dans dix ou vingt ans, nous ne regrettions pas ce choix… Surtout, quand on voit que ce gîte présente un déficit de recharge de 60 % à l’issue de cet été. »
Autre point déploré par les associations à propos des deux arrêtés : la durée de l’autorisation, accordée pour dix ans. Même si des conditions sont fixées (diminution des volumes prélevés en période d’étiage, mise en place d’un suivi, notamment pour alimenter le futur observatoire hydrogéologique), la préfecture prévoit que les impacts des prélèvements seront réévalués, au maximum un an après l’échéance du 1er janvier 2032.
Un observatoire des eaux souterraines en 2024
Même dans un laps de temps assez long, cette connaissance devrait toutefois s’améliorer. En effet, après une délibération du comité de bassin Rhin-Meuse, les six principaux acteurs liés au partage de la ressource ont signé un protocole d’engagement volontaire, en 2020. Parmi les principaux objectifs figure la création d’un observatoire des masses d’eau souterraines, dont l’étude de préfiguration est désormais achevée. Sa mise en place opérationnelle sera pilotée par le conseil départemental et le BRGM, dès le premier trimestre 2023. Cet observatoire suivra avant tout le gîte C, mais a vocation à s’étendre aux gîtes A et B. L’objectif est une mise à disposition des données au début de 2024.
Le protocole d’engagement volontaire prévoit également la poursuite de la rédaction du schéma d’aménagement et gestion des eaux (Sage) pour le gîte C. Après une période au point mort, l’enquête publique du Sage devrait avoir lieu du 5 décembre au 17 janvier prochain.