Plusieurs associations indiennes attaquent le conseil mondial de l’eau devant le tribunal de grande instance de Marseille. Elles s’estiment discriminées après la mise en attente de leurs candidatures d’adhésion. Des accusations que rejettent les responsables de l’organisation mais qui tendent la situation en interne à l’approche de sa prochaine assemblée générale à Marseille. Article de Pierre Coronas dans Marsactu.
Cette élection se profile dans un contexte de tensions puisque 21 associations indiennes assignent le conseil mondial de l’eau devant le tribunal de grande instance de Marseille, comme l’a déjà évoqué l’Observatoire des multinationales. Elles contestent le choix du CA de reporter l’examen de la candidature d’adhésion de 12 d’entre elles. Cette décision a été prise en mars 2018 au motif que les membres de nationalité indienne du CME représentaient déjà 18,9 % de ses effectifs et qu’une hausse de cette part pourrait en déséquilibrer la gouvernance. “Aujourd’hui, l’Inde est le pays le plus représenté au sein du CME avec 41 membres. Et, récemment, nous avons reçu plus du double de nouvelles demandes d’adhésion de la part d’organisations indiennes, explique Kevin Chrétien, chargé de mission au CME. Pour des questions de représentativité géographique, notre bureau a décidé de mettre l’analyse de ces candidatures en attente pour prendre le temps d’étudier la question.”
Un traitement discriminatoire ?
Pourtant, lors de la semaine mondiale de l’eau en Inde en 2015, Dogan Altinbilek, vice-président du CME, avait encouragé des centaines d’organisations indiennes à adhérer. Peut-être ne s’attendait-il pas à ce que son appel soit autant suivi. Toujours est-il qu’aujourd’hui, le CME se trouve “face à une situation inédite, plutôt inattendue”, concède Kevin Chrétien. Quant au président du CME, il reconnaît lui-même, dans un courrier du 27 juillet 2018 adressé aux associations indiennes concernées, que “cette question de la forte représentativité de certains États n’a jamais été anticipée par les statuts”.
En effet, ni les statuts ni le règlement intérieur du CME ne font mention de critères d’adhésion relatifs à la nationalité des candidats. L’article 7 des statuts (“Conditions d’adhésion”) stipule simplement que “la qualité de membre est subordonnée à un agrément préalable du bureau du conseil d’administration”. Quand au règlement intérieur de l’association, il prévoit que “l’adhésion au conseil est ouverte à toute organisation ayant un intérêt pour les problèmes liés à l’eau, qui approuve la mission et les objectifs du conseil”. Par conséquent, “il faut comprendre que sont admis tous les candidats, personnes physiques ou morales, à but lucratif ou non, dès lors qu’ils exercent leur activité dans le secteur de l’eau”, écrivent les associations indiennes qui attaquent le CME dans leur assignation. Elles jugent discriminatoire le traitement auquel leurs candidatures sont soumises.
Refus d’un règlement à l’amiable
En interne, plusieurs membres du CME, dont le vice-président lui-même, pointent le caractère potentiellement irrégulier de la situation, selon les comptes-rendus de réunions du bureau et de conseils des gouverneurs que nous avons pu consulter. Une incompréhension renforcée par l’accueil de 54 nouveaux membres le 20 août 2018. Cette hausse des effectifs du CME fait mécaniquement baisser la part des organisations indiennes. D’après un décompte effectué à partir de la liste des adhérents au 22 novembre 2018, le CME ne compte que 10,76 % de membres indiens.
“Nous ne souhaitons pas que la question soit tranchée par un juge et préférerions trouver une solution à l’amiable”, prévient Kevin Chrétien. Une option pourtant proposée par les associations indiennes au président du CME. Elles lui ont écrit, au cours de l’été 2018, pour demander une procédure de médiation, prévue par l’article 21 des statuts de l’organisation. Mais la requête a été refusée. “Le CME n’a jamais été en tort. Les motifs invoqués par les associations indiennes qui nous attaquent sont minimes, poursuit le chargé de mission. Je pense qu’il s’agit d’un rideau de fumée destiné à détourner l’attention. La plupart de nos membres sont perplexes face à leur démarche. Surtout que, jusqu’à il y a peu, les associations indiennes ne s’intéressaient quasiment pas aux actions du CME…”
En réalité, les acteurs qui militent pour un plus large accès à l’eau ne se font guère d’illusions sur les objectifs du CME. “Il ne fait que prétendre influer sur la question de l’eau dans le monde, s’énerve Jean-Claude Oliva, directeur de la Coordination Eau Île-de-France dont la demande d’adhésion au CME a été refusée. Il faudrait que cette association soit une véritable instance représentative dans un contexte où, à travers le monde, la crise de l’eau s’amplifie. Aujourd’hui, de nombreuses initiatives sont lancées pour trouver des solutions, mais le CME les ignore tout simplement. C’est insupportable, il préfère gaspiller de l’argent et organiser des forums mondiaux de l’eau qui ne servent pas à grand chose et rapportent beaucoup d’argent à quelques uns.”
Naissance d’une “opposition interne”
Beaucoup de militants de l’accès à l’eau considèrent le CME comme un outil de lobbying pour des multinationales du secteur. Ils pointent notamment l’influence de Veolia sur l’organisation par l’intermédiaire de sa filiale, la Société des eaux de Marseille (SEM), présidée par Loïc Fauchon, président du CME jusqu’en 2012. Devenu président honoraire de l’association, il vient d’annoncer qu’il quittera la tête de la SEM en juin 2019. Il est visé par une enquête du parquet national financier ouverte en 2015 à la suite d’un signalement de la Chambre régionale des comptes (CRC). Elle porte sur des soupçons de prise illégale d’intérêts, de favoritisme et de trafic d’influence dans le cadre de l’attribution du marché de l’eau dans 17 des 18 communes et de 2 des 3 marchés de l’assainissement de l’ex communauté urbaine Marseille Provence Métropole (MPM). Un contrat d’un montant total de 3,2 milliards d’euros.
En juin 2017, Loïc Fauchon a ainsi été interrogé par les enquêteurs sous le régime de la garde à vue aux côtés de Martine Vassal et de Jean-Claude Gaudin. Actuelle présidente (LR) du conseil départemental des Bouches-du-Rhône et d’Aix-Marseille Métropole, elle a occupé la fonction de trésorière du CME sous la présidence de Loïc Fauchon alors qu’elle était adjointe au maire de Marseille et occupait le poste de présidente déléguée à la commission de MPM en charge des dossiers liés à l’eau et à l’assainissement. Une proximité qui a conduit la CRC à s’interroger sur ses relations avec la SEM qui, selon son rapport, “pourraient être considérés comme constitutives d’une situation d’interférence du fait des fonctions que cette élue exerce au sein du Conseil mondial de l’eau”.
L’enquête n’a pas encore débouché. Mais, parmi les membres du CME, certains s’interrogent. “Il y a une opposition qui est en train de naître. Déjà, les votes ne sont plus unanimes et nous comptons sur la prochaine assemblée générale pour faire entendre notre voix”, confie le représentant d’une association membre du collège 4 du CME, celui de la société civile et des organisations. Certains militent même pour que le siège du Conseil déménage à Paris. “Pour des raisons pratiques, mais surtout pour extraire l’association de l’influence de la SEM et de la mairie de Marseille”, confirme l’adhérent. Comme d’autres, il estime que la mairie de Paris qui a confié la gestion de l’eau à une régie publique, serait “plus réceptive aux réelles problématiques de l’accès à l’eau dans le monde”.