Des représentant.e.s de la Coordination EAU Île-de-France, de la Coordination EBC Paca, d’EBC Lyon Métropole, d’Eau Secours 34, et d’Eau secours 31 ont participé à une réunion du Mouvement européen pour l’eau du 1er au 3 octobre à Barcelone. A cette occasion, une mise à jour des enjeux de l’eau dans chaque pays a été présentée. Voici celle de la France.
Gestion publique de l’eau
Les dernières élections municipales en 2020 ont vu la confirmation et le renforcement de la tendance au retour à la gestion publique de l’eau, observée depuis une quinzaine d’années en France. Des métropoles comme Lyon et Bordeaux, deux territoires du Grand Paris, plusieurs villes moyennes comme Annecy, ont pris la décision de passer en gestion publique. Dans les prochaines années, c’est plus de trois millions d’usagers qui vont ainsi passer d’une gestion privée à une gestion publique.
Fait nouveau, le combat se porte à présent aussi sur la production d’eau potable. Dans le sud de la région parisienne, plusieurs régies ont constitué ensemble un syndicat de production et visent récupérer des usines que Suez s’était appropriées et/ou à construire une nouvelle usine. Bien entendu, les multinationales ne restent pas l’arme au pied. Le syndicat des eaux d’Île-de-France qui est le premier contrat de Veolia en France et en Europe, cherche à imposer un nouveau dispositif technologique, l’osmose inverse basse pression (qui équivaut à la désalinisation de l’eau de mer) qui aurait pour conséquence de relever sensiblement les tarifs pour les usagers, d’augmenter les prélèvements sur la ressource et la consommation d’énergie et vise à mettre en difficulté ses concurrents publics et privés.
Avec l’aval du président français, Veolia a pu racheter son concurrent direct Suez qui se fait laminer. Nous entrons dans une situation de monopole privé qui inquiète bien au-delà des défenseurs de l’eau bien commun : ainsi l’association des maires de France craint l’abus de position dominante de Veolia et les hausses de tarif qui risquent d’intervenir de ce fait. Paradoxalement cela donne du grain à moudre pour les partisans de la gestion publique. Les syndicats de Suez s’inquiètent à juste titre pour l’emploi au sein du groupe, aucune garantie réelle n’a été obtenue sur son maintien.
Eaux en bouteilles
Les multinationales des eaux embouteillées sont confrontées à de nouvelles difficultés. Des résistances sur le terrain comme à Vittel où habitants, associations et agriculteurs, voient leurs nappes phréatiques pompées par Nestlé, dans un contexte de changement climatique. Un mouvement important se développe qui met à mal les connivences traditionnelles avec les pouvoirs publics. Porté par la prise de conscience écologique, notamment de l’accumulation sans limite des déchets, le rejet des bouteilles en plastique se développe. Cela commence à avoir des conséquences économiques car la vente des bouteilles d’eau est en recul en France.
Eau et agriculture
Les préoccupations écologiques sont au cœur d’autres mouvements qui concernent l’utilisation de l’eau par l’agriculture industrielle. Ces derniers jours, des manifestations contre les « bassines » ont eu lieu dans l’ouest de la France. Les bassines, ce sont des réserves d’eau, prélevée en hiver dans les nappes souterraines, pour être utilisée en été pour des cultures qui ont besoin de beaucoup d’eau comme le maïs. Dans le département des Deux-Sèvres, par exemple, cela bénéficie à moins de 5% des agriculteurs. Mais des subventions publiques sont accordées pour les construire. Les protestations rassemblent à la fois de la Confédération paysanne et des collectifs plutôt citadins.
La prolifération par les algues vertes, provoquée par les nitrates rejetés dans les cours d’eau par les élevages industriels touche particulièrement la Bretagne. La situation ne s’améliore pas malgré les plans et les financements des gouvernements depuis vingt ans. Cependant ces dernières années, on est passé des dénonciations de quelques lanceurs d’alerte à une véritable bataille culturelle. Par exemple avec la BD « algues vertes, l’histoire interdite ». Des journalistes et des associations, menacés physiquement par les lobbies agro-industriels, ont reçu un large soutien de la population locale.
Droit humain à l’eau et tarification
Avec la crise sanitaire, la situation des populations qui ne sont pas raccordées au réseau d’eau (squats, campements, bidonvilles…) est apparue au grand jour. Le premier geste barrière étant de se laver les mains, comment faire quand on n’a pas d’eau au robinet ? De nombreuses associations françaises de solidarité internationale s’intéressent de plus en plus à cette question en France aussi et agissent sur le terrain. Selon les endroits, les pouvoirs publics (préfectures et maires) ont agi de façon différente, certains assurant des livraisons d’eau pendant les périodes de confinement, d’autres les refusant. Les tribunaux saisis ont prononcé des jugements eux aussi différents selon les cas. Ce qui montre l’insuffisance des lois actuelles pour assurer le droit à l’eau. La transposition de la directive eau potable en droit français pourrait permettre des avancées dans ce domaine.
Pour les personnes qui sont raccordées, mais qui ont des difficultés à payer l’eau, des expérimentations très diverses en matière de « tarification sociale » ont été menées ces dernières années. Cela a abouti à ce que toutes les collectivités peuvent à présent proposer une tarification sociale. Cela se révèle parfois du saupoudrage comme des chèques eau qui touchent un nombre très limité de personnes. Il y a des expériences plus massives d’allocation eau adossée à l’allocation logement qui touchent plusieurs dizaines de milliers de personnes comme à Paris. Le changement de système de tarification dans un sens plus social mais aussi plus écologique est au cœur des réflexions en particulier des collectivités qui ont choisi le retour à la gestion publique.
La bataille menée, et gagnée, contre les coupures d’eau pour impayés a marqué les esprits. Elle reste une motivation forte pour le retour à la gestion publique. Elle appelle d’autres avancées dans la relation entre usagers et service public de l’eau, pour établir une relation de confiance, sans coercition.
En Guadeloupe et dans d’autres territoires français d’outremer, la situation est particulièrement dramatique. La ressource est polluée par des pesticides comme le chlordécone, les réseaux sont vétustes et fuyards, les coupures d’eau sont fréquentes, y compris dans les écoles et les hôpitaux, et durent parfois plusieurs jours. Cette catastrophe est le résultat de décennies de prédation par les multinationales et de corruption des élus locaux, sous le regard indifférent du pouvoir central. De nombreux collectifs citoyens se sont montés dans la dernière période et mettent élu.e.s et préfets sous pression. Les besoins sont énormes et c’est un véritable plan Marshall pour l’eau qui devrait être mis en place. Il faudrait faire payer les multinationales qui se sont enrichies pendant des années sans faire l’entretien et le renouvellement nécessaires. Sinon c’est les usagers qui ont payé une première fois via leur facture d’eau qui vont payer une seconde fois via leurs impôts.
Droits de la nature …et des fleuves
Cet été, une coalition d’associations a lancé la déclaration des droits du fleuve Tavignanu en Corse. C’est une première en France, qui s’inscrit dans le mouvement mondial de reconnaissance des droits de la nature. Cette déclaration vise à combattre un projet industriel particulièrement menaçant pour le second fleuve de Corse. Cela fait suite à d’autres initiatives dans le même sens comme le Parlement de Loire qui rassemble lors de ses sessions, différents acteurs (associations, artistes, scientifiques, élus, etc.) autour du fleuve.
Commission d’enquête parlementaire
Initiée par une députée d’opposition (LFI), une commission d’enquête parlementaire sur l’accaparement de l’eau par les intérêts privés a auditionné l’ensemble des acteurs de l’eau, élus entreprises publiques et privés, associations, agences, ministères, etc. Le rapport adopté à l’unanimité par la trentaine de députés de la commission (la plupart issus des rangs de la majorité LREM) dresse un constat accablant de la situation et affirme l’intérêt de la gestion publique. C’est inédit et c’est un point d’appui important pour l’avenir.
Eau et climat
D’une façon générale, il est considéré les conséquences du changement climatique sur l’eau : sécheresses, inondations, etc. Les modifications causées par les humains au cycle de l’eau et leurs conséquences sur le climat sont peu abordées. On peut noter cependant un intérêt croissant (et de nombreuses études) pour une nouvelle place de l’eau dans la ville, en lien avec la transformation des villes pour résister au changement climatique.