Le Collectif du refus de la Misère en Sambre Avesnois a rédigé une lettre ouverte aux élus de la Communauté d’agglomération de Maubeuge Val de Sambre (CAMVS).
« Le 24 février 2016, nous faisons appel à votre audace et votre indépendance !
Le 24 février prochain vous allez vous prononcer sur le mode de gestion du service public de l’eau potable qui devra être opérationnel à compter du 1er janvier 2018. Le contrat de gestion de l’eau potable, octroyé à la société Eau et Force par 18 communes de l’AMVS, arrivant à échéance le 31 décembre 2017.
Plusieurs scénarii pour la future gestion vont vous être présentés lors du conseil communautaire. Vous serez ensuite amenés à vous prononcer pour l’un d’entre eux. Les conclusions que le bureau exécutif de la CAMVS vous présentera avant le vote, s’appuieront sans nul doute sur celles des rapports d’audits des cabinets Stratorial Finance et Hexa Ingienerie. Il nous a été impossible d’en avoir la teneur. Nous le regrettons et restons interrogés par ce refus de transparence. Cet audit est pourtant un élément indispensable pour négocier dans de bonnes conditions le renouvellement du contrat ou pour créer une régie!
A contrario, la démarche que le collectif du refus de la misère de Sambre Avesnois entreprend en vous écrivant est pleinement assumée. Au nom de cette transparence nous avons voulu que notre démarche soit publique. D’où le choix de cette lettre ouverte.
Cette lettre est le fruit d’un long travail que nous menons depuis maintenant plus de cinq ans. Il a débuté après la projection du film « Water makes money » suivi d’un débat en présence de M. Hartmann directeur à l’époque de l’agence locale d’Eau et Force.
Nous avons voulu savoir si le passage d’un opérateur privé à un opérateur public pour les 18 villes concernées dans notre territoire aurait des conséquences positives sur le prix de l’eau. Pour cela nous avons consulté plusieurs spécialistes, plusieurs élus ; organisé des soirées d’informations, un débat contradictoire visant à éclairer les citoyens ; rédigé un rapport (que nous tenons à votre disposition[1]).
La première conséquence de cette investigation est la prise de conscience que les industriels de l’eau usent de beaucoup de moyens pour sauvegarder leur contrat. Ces moyens ont redoublé depuis qu’en France on observe une tendance à un retour en régie publique confirmée par le Commissariat général au développement durable dans un rapport datant de 2008 : depuis 2004, 300 communes ont quitté la gestion déléguée à des opérateurs privés pour celle en régie publique.
Cette réaffirmation de la puissance des collectivités locales face aux entreprises privées dans le domaine de l’eau est un geste en partie politique, motivé par un attachement certain au service public. Pourtant certaines villes de gauche ont décidé de rester délégataires tandis que des villes de droite ont cassé leur contrat pour passer en régie (c’est le cas dernièrement de la ville de Nice). Il faut donc se garder de tout raisonnement simpliste selon lequel les municipalités de gauche seraient plus favorables à une gestion publique que celles de droite. En réalité, dans la grande majorité des cas, c’est d’abord le facteur économique qui détermine le choix du mode de gestion.
Actuellement l’approvisionnement en eau dans le monde entier, est à 80% sous régie publique. Même aux États Unis, pays connu pour sa politique ultra-libérale, seulement 10% des services d’eau sont gérés par le privé. En Suisse, 100% de l’eau sont sous régie publique! Alors qu’en France même si le chiffre est revu tous les ans à la baisse, plus de 60 % des usagers de l’eau du robinet sont sous délégation de service public au privé.
Notre étude nous a menés à une conclusion sans appel : à service égal, la régie publique offre un prix du m³ toujours moins élevé qu’en régie privée.
Comment pourrait-il en être autrement ? « L’eau n’étant pas une ressource marchande, une gestion publique a le mérite d’être tournée vers l’intérêt général et de sortir d’une logique de rentabilité financière. Les gains économiques réalisés ne servent pas à autre chose qu’au service de l’eau, la notion de « marge » n’existe pas. »[2]
Aussi nous voulons attirer votre attention, par ce courrier, sur les stratégies que mettent en oeuvre les opérateurs privés pour tenter de pérenniser leur contrat.
Nous n’avons pu avoir connaissance du contenu des études qui ont été réalisées sur notre territoire dans la perspective de la prise de décision du 24 février prochain. Mais nous pouvons vous faire part des recommandations et des avertissements qui nous ont été adressés à plusieurs reprises lors de notre investigation, par des élus qui dans d’autres territoires ont fait le choix d’un retour en régie publique.
Quelle n’a pas été notre surprise de constater que les documents remis avant le vote aux élus sont quasi similaires quel que soit le territoire. Lorsque le bureau exécutif de la collectivité locale concernée a une option préférentielle pour la DSP alors une note est rédigée pour l’ensemble des élus communautaires qui sert en réalité le plus souvent d’argumentaire et omet systématiquement des informations qui sont pourtant indispensables à une décision pleinement éclairée.
– Très souvent l’étude n’est pas comparative :
Seuls sont exposés les bienfaits d’une DSP en omettant systématiquement d’évoquer les aspects positifs d’une régie publique alors qu’ils sont très faciles à démontrer: Le coût d’abord. Une étude de l’UFC-Que Choisir datant de 2009, démontre que dans les agglomérations dont la gestion de l’eau est déléguée, les usagers paieraient jusqu’à 30 % plus cher que dans une régie publique. Un écart tempéré par le service de l’eau de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies d’après qui, en 2011, le prix de l’eau des délégataires privés est 15 % plus cher que celui des régies.
Sur le site : https://www.linternaute.com/ville/maubeuge/ville-59392/prix-eau on peut voir que le prix de l’eau à Maubeuge est supérieur à la moyenne nationale et augmente plus vite aussi ! Qu’est-ce qui justifie cela ?
– Mais le plus souvent dans les documents remis aux élus, aucun chiffre n’est jamais donné. Aucune étude comparative de prix n’est présentée.
Si tel était le cas dans le document qui vous sera remis, sachez que sur notre territoire cette comparaison est très facile. Il est peu probable si le bureau exécutif de l’AMVS fait le choix de la DSP que cette comparaison vous soit présentée. Pourtant en 2013 la commune de Bavay l’a faite et en a tiré les conséquences. Le maire de Bavay, Alain Fréhaut exprimait dans les colonnes de la VDN du mercredi 13 juin 2013 : « Eau et force a fait son boulot, a proposé de revoir les règles de calculs qui étaient difficilement compréhensibles » Avec le retour en régie « les factures ont baissé de 20% ». La transparence revendiquée par M. Fréhaut visait à réduire les coûts et faire en sorte qu’ils soient au juste prix du service. L’expérience montre que cette transparence doit être une exigence des élus. Beaucoup trop de délégataires se voient reprocher leur absence de lecture financière. Un contrôle direct du service public a pour but de remédier à cette limite. Une régie étant soumise à la comptabilité publique, elle garantit cette transparence.
Une autre manière de faire baisser les coûts est d’évoquer l’éventualité d’un retour en régie publique. Partout où cela a été fait on a observé le même phénomène. Tout à coup l’opérateur privé trouve des marges de manœuvres qui lui permettent d’opérer une baisse des prix ou /et une amélioration du service. Démonstration est faite alors que des marges existent et qu’on est donc en droit de se demander à qui elles sont destinées quand ce n’est pas aux usagers du service.
Ce fut le cas chez nous il y a deux ans. Puisque l’avenant appliqué à partir du 1er janvier 2014 négocié avec Eau et Force a permis :
La baisse de 30 centimes du prix du m³ sur la tranche des consommations entre 31 et 90 m³.
Un engagement d’Eau et Force à renouveler les installations qui assurent la production et la distribution de l’eau potable. Fin 2013 ce programme était estimé à 9,6 millions d’euros.
– Lorsqu’il y a comparaison avec le prix de l’eau fournie par une régie publique voisine, il est systématiquement omis de préciser si les contraintes inhérentes à la géologie, la longueur du réseau, la qualité de l’eau, le service aux usagers sont identiques. De ce fait la comparaison est souvent biaisée.
– Les compétences des opérateurs privés sont souvent survalorisées laissant croire que sous régie publique un risque sanitaire est plus probable.
Alors même qu’une analyse comparative établie par la FNCCR en 2009 sur des critères tels que le prix, la satisfaction des usagers ou la qualité du réseau et de l’eau, démontre qu’il n’y a guère de différence de performance entre les régies publiques et les services délégués. Chez nous, la régie publique Noréade, démontre depuis plus de 60 ans sans conteste ses compétences techniques. D’autre part, il est à préciser que la collectivité et son président restent responsables de la gestion de l’eau, même en cas de délégation de service public. En cas d’accident sanitaire, ils peuvent être poursuivis pénalement, même en DSP. L’expérience dans d’autres collectivités nous porte à croire le cas échéant, que le groupe Suez sera le premier à vous rejeter la faute !
– L’autre argument avancé est celui des emplois. On laisse souvent penser qu’un retour en régie publique générerait une augmentation de la masse salariale de la collectivité.
En période de rigueur budgétaire cet argument fait souvent mouche ! Les partisans de la DSP oublient systématiquement de préciser que les emplois au sein d’une régie sont de droit privé et donc n’entrent pas dans le secteur public. Le budget annexe de l’eau potable est distinct du budget de la CAMVS et provient exclusivement de la facture d’eau des usagers. Par conséquent, les emplois ne viendraient pas gonfler la masse salariale de la CAMVS.
En cas de passage en régie publique le personnel de l’opérateur est systématiquement repris sauf si celui-ci ne le souhaitait pas. La rencontre avec un salarié qui a travaillé pour Eau et Force et pour Noréade nous permet d’affirmer qu’en cas de changement de statut les ex-employés d’Eau et Force n’auront rien à craindre en ce qui concerne leur rémunération et leurs conditions de travail.
– Sont souvent évoqués des coûts très élevés de mise en place d’un régie publique, souvent énoncés d’ailleurs sans aucune justification.
Pour éviter ces désagréments, dont il est toujours fortement conseillé de vérifier la véracité, des solutions existent : la régie peut obtenir un prêt. Même en comptant les intérêts, cela coûtera moins cher que les dividendes versés à Suez. Mais comme évoqué plus haut, nous avons sur notre territoire la possibilité d’éviter la création d’une régie publique supplémentaire. Votre choix peut se porter en faveur de l’intégration du Syndicat SIDEN-SIAN, Noréade comme l’a fait la commune de Bavay. Bernard Poyet, directeur général de Noréade exprimait dans la VDN du 18 juin 2013
« Si, demain, les élus de l’agglomération Maubeuge – Val de Sambre et ceux de la communauté de communes Sambre – Avesnois valident le système de la régie, Noréade sera prête à les accueillir sans problème. Nous n’aurions aucune difficulté à intégrer de nouvelles communes. Les structures sont opérationnelles. Ne reste qu’à sauter le ruisseau. Pour rejoindre la rive publique.
L’avantage, c’est qu’il n’y a pas d’actionnaires à rémunérer. En principe, c’est moins cher. » Lorsqu’une commune intègre Noréade, « le maire n’a plus de budget. Le service est financé directement par les usagers ». Un transfert de compétences s’opère, du privé vers le public. « Nous récupérons le passif, l’endettement, le réseau, et le personnel du délégataire. C’est une obligation légale. »
Nous ne pouvions conclure cette lettre sans évoquer un argument en faveur du retour en régie publique qui devrait être déterminant dans votre propre choix .
L’eau n’est pas un bien comme les autres. Il est vital. Il est donc impensable qu’il soit soumis à la même loi que tout autre bien. Si ce bien essentiel à la vie (un humain ne peut pas vivre plus de trois jours sans eau) était considéré comme une marchandise alors on peut se demander pourquoi des entreprises privées ne pourraient pas aussi réaliser des bénéfices sur l’air que nous respirons.
Et enfin permettez nous de vous partager un dernier élément de notre travail. Durant notre étude, nous avons ressenti chez plusieurs élus le besoin de se libérer des lobbies industriels afin de faire des choix qui soient indépendants d’intérêts financiers. Les pressions auxquelles vous élus êtes soumis peuvent être fortes. Elles sont diverses et variées. Quelques élus nous en ont fait part parce que ces pressions sont de plus en plus difficiles à supporter.
Nous sommes donc conscients que la démarche que nous entreprenons pour tenter de vous convaincre du choix de la régie publique, des élus ou des industriels l’ont entreprise pour vous convaincre du contraire. Nous savons que leurs moyens sont incomparables aux nôtres.
Pour autant puisque le choix vous revient, il ne nous est pas interdit de croire que comme beaucoup d’autres élus de France, vous aussi vous saurez dépasser les craintes et les pressions auxquelles vous êtes peut-être soumis.
Il était donc de notre responsabilité de vous faire part de notre travail.
Un vote de cette importance exige de votre part un investissement fort si vous le voulez le plus éclairé possible. Nous espérons par ce courrier y avoir contribué. Ce travail d’investigation aura pour nous été fastidieux mais aussi une grande source de satisfaction. Nous en sortons grandis avec une vigilance accrue que nous espérons vous avoir transmise.
En conclusion nous ne saurions trop vous conseiller de :
Ce 24 février nous sollicitons votre audace et votre indépendance.