L’été dernier, un parlementaire a adressé une question à la ministre de l’écologie, visant à légaliser les réductions de débit. Le projet de réponse a été présenté aux membres du Comité national de l’eau (CNE), ce dont se félicite la CLCV (association nationale de défense des consommateurs et usagers). Ayant pris connaissance de la teneur de la question posée, du projet de réponse et des réactions de la FNCCR et des industriels de l’eau, elle rappelle sa conception du droit à l’eau et à l’assainissement, qui vaut aussi pour l’accès aux énergies.
Le cadre du droit commun
Le droit à l’eau et à l’assainissement reconnu dans de nombreux sommets et instances au plan international, européen et national a été concrétisé en droit français avec beaucoup de lenteur, par petites touches, avec des textes imprécis quand ils n’étaient pas contradictoires. Il a fait l’objet de nombreuses déclarations de principe favorables, de la part de tous les acteurs, ce qui n’a pas empêché de nombreuses contestations et remises en cause régulières dans son application.
Très longtemps ce droit a été approché dans une démarche de droits humains, mais aussi dans des logiques caritatives qui ont induit des dispositifs d’assistanat renforçant une forme de « marquage social » : pour disposer de l’eau, comme des autres services essentiels, il fallait justifier de sa situation économique et sociale, pour accéder à des aides curatives permettant de régler tout ou partie de factures impayées.
Depuis la loi sur l’eau de 1992, la CLCV a contesté cette approche, considérant que ce droit fondamental à un bien aussi vital ne se divise pas et ne doit pas être conditionné. C’est pourquoi elle a contesté le principe de droits conditionnels, demandant que l’on inverse les logiques en créant un droit d’accès aux services essentiels, dans le cadre d’un droit commun, pour tous les consommateurs et usagers, sans qu’ils aient à justifier de leur situation et de leurs revenus.
Dans le rapport « Transformation des modes de vie, des comportements et de la consommation », qu’elle a co-rédigé avec ATD Quart Monde à la demande de Mme Valérie Létard, Secrétaire d’État auprès de Mr Jean-Louis Borloo Ministre d’État, publié en janvier 2010, elle a à nouveau développé les conditions à réunir pour mettre en œuvre ce droit dans une démarche de responsabilité, de respect de la dignité et de citoyenneté.
C’est pourquoi elle a accueilli favorablement les différentes propositions de loi qui se sont succédées, visant à sortir de la logique d’assistanat et d’aides strictement curatives, pour créer un droit positif assorti d’une solvabilisation en amont des ménages en difficulté, tout en regrettant leurs limites, notamment en ce qui concerne l’action sur les causes et les obstacles à l’accès à l’eau.
Les remises en cause permanentes et les fausses bonnes raisons
Pendant des décennies, des élus et les industriels ont justifié leur opposition totale à l’interdiction des coupures d’eau par le risque que cela ferait courir sur la gestion des services, considérant, de fait, que de nombreux consommateurs sont soit laxistes, soient mauvais payeurs en puissance. La suppression de l’épée de Damoclès générerait alors des impayés massifs.
A la suite de l’initiative (heureuse pour les consommateurs) d’un délégataire qui a saisi le Conseil Constitutionnel avec les résultats que l’on connaît, le débat se déplace à nouveau, en lot de consolation, sur la possibilité de réduire la fourniture d’eau, au prétexte d’une forte augmentation des impayés et d’une pratique déjà en vigueur.
Nous rappelons, comme l’avait jugé le Tribunal de Roanne dans les années 1980, qu’en cas d’impayé de mauvaise foi, les services ont des procédures simples à leur disposition pour recouvrer les sommes dues. Lorsqu’il s’agit de raisons économiques, les conditions d’accès au service et la solvabilisation doivent parer.
La CLCV conteste à nouveau cette approche restrictive et cette conception des rapports avec les consommateurs et usagers pour plusieurs raisons.
* La réalité des impayés
Depuis que cette question est mise sur la table, avec des affirmations générales du type « il y a de plus en plus d’impayés », la CLCV demande des données objectives précises : le nombre exact d’incidents de paiement, leurs causes, les impayés par catégories de consommateurs (ménages, activités, services…), les sommes en cause et les abandons de créance consentis, rapportées au budget des services. Au fil du temps et à force de questions posées, il a été dit encore récemment par les collectivités et les industriels que cela concerne globalement environ 1 % des factures, sans plus de précision. A noter que dans une enquête spot sur trois localités en contrat ville dans l’Est, nous avions découvert que les moitié des impayés d’eau étaient le fait de faillites de petits commerces à durée de vie limitée.
* Les causes des impayés
S’agissant des ménages, à travers ses permanences locales et en fonction des litiges à régler, la CLCV a pu constater qu’une majorité de difficultés pour payer la facture d’eau concerne des ménages vivant en habitat collectif et disposant de compteurs divisionnaires, ou d’abonnés individuels, dont les installations et réseaux vétustes occasionnent des fuites importantes ou ayant subi des branchements clandestins, ou encore des défaillances de comptage. A cela s’ajoute l’impact de plusieurs euros le mètre cube d’eau consommée, du coût global de l’ANC en milieu rural et périurbain. Ce ne sont pas des statistiques générales, mais elles ne sont pas moins fiables que les données générales entendues.
Par ailleurs, la CLCV a démontré depuis plus de 20 ans, que les conditions d’accès aux services et les structures tarifaires, sont la principale cause des difficultés au paiement de la facture d’eau et d’assainissement. Ainsi, l’importance de la part fixe imposée par certains services, à laquelle s’ajoutent les frais d’ouverture et de fermeture de compteurs, des frais d’accès au service qui ont bien vite remplacé les avances sur consommation interdites par le législateur, a un impact direct démontré sur le montant de la facture.
Cet impact est tel, qu’il conduit certains élus, industriels et récemment la DGCCRF lors du dernier CNE, à refuser que le prix de l’eau au litre affiché sur la facture, intègre l’abonnement, au prétexte que cela serait trop compliqué, alors qu’il s’agit d’une simple règle de trois sur une ligne informatique, et alors que ce que le consommateur comprend le mieux, c’est bien le montant qu’il paye réellement.
Rappelons, pour mémoire, que lors des concertations mises en place sous la présidence du Député André Flageolet, il avait été estimé, en masse, que le montant moyen des aides nécessaires pour que la facture d’eau ne dépasse pas 3 % du budget des ménages, était équivalent…. au montant moyen de la part fixe ! On préfère donner des aides plutôt que d’agir sur la structure tarifaire !
Nous constatons aussi que ce sont souvent les mêmes qui militent pour le maintien des coupures d’eau ou la réduction de la fourniture et qui s’opposent à toute solution plus équitable de tarification, que permet pourtant la législation et la réglementation actuelles, comme le pratiquent déjà certaines collectivités, sans avoir attendu l’expérimentation en cours.
Plus en amont encore, les causes de renchérissement de l’eau et de l’assainissement, pourtant largement connues et démontrées, sont peu traitées : dégradation de la qualité de la ressource, aggravation de la charge polluante des eaux usées, absence de consensus sur la réalité économique du coût des différentes étapes du cycle de l’eau, actions générales de prévention répercutées sur la facture d’eau, application inéquitable du principe pollueur-payeurs, etc.
Enfin, nous sommes interloqués par la place prise par les entreprises de l’eau dans tous ces débats, y compris dans la question même du parlementaire qui place au même plan les services de l’eau et les services privés. De notre point de vue, il convient de rappeler les règles de base de la gestion des services publics et ne pas confondre autorités compétentes et concédantes avec concessionnaires ou délégataires. Sans mettre en cause la compétence et l’expertise de ces derniers, il ne leur revient pas de déterminer la nature et les conditions de fonctionnement des services. Nous avions noté d’ailleurs avec intérêt, dans certains débats publics, que les représentants de leur fédération reconnaissaient ne pas avoir à intervenir dans ces débats. Nous souhaitons qu’ils soient cohérents avec ces déclarations.
En résumé donc, nous approuvons la teneur du projet de réponse apportée à la question écrite parlementaire. Nous demandons que cette « guérilla » juridico-administrative cesse pour que s’applique sans restriction le droit à l’eau et à l’assainissement, tout en invitant le législateur à plus de concertation en amont de l’élaboration des textes, pour qu’ils ne comportent pas de dispositions incohérentes ou imprécises attaquables.